Sils Maria

Synopsis

À dix-huit ans, Maria Enders a connu le succès au théâtre en incarnant Sigrid, jeune fille ambitieuse et au charme trouble qui conduit au suicide une femme plus mûre, Helena. Vingt ans plus tard on lui propose de reprendre cette pièce, mais cette fois de l'autre côté du miroir, dans le rôle d'Helena...

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Critiques

Pour rendre compte de Sils Maria, de la complexité, de la richesse des sensations et des idées qui forment ce film, autant se servir de Sils-Maria, le point géographique, dans l'Engadine, en Suisse. Il est aussi impossible, pour en décrire le paysage, de s'abstraire de la terreur qu'inspirent les sommets, les glaciers, que de taire la sérénité des vallées ou des bois. Le passage d'une sensation à l'autre étant précipité par les variations de la lumière, qui égrènent toutes les saisons en quelques heures. Le film d'Olivier Assayas est ainsi fait d'humeurs fugaces et de questionnements profonds, de comédie acerbe et de souffrance intime.

 

Avant d'arriver à Sils-Maria, le premier acte du scénario fait du spectateur le compagnon de voyage de Maria Enders (Juliette Binoche) et Valentine (Kristen Stewart). La première est une actrice de renom, qui a joué aussi bien sur les scènes européennes que dans X-Men, la seconde est sa personal assistant, un emploi que l'on voit régulièrement au générique des grandes productions dont les vedettes vivent à Hollywood.

 

Elles ont pris le train pour Zurich, où Maria Enders doit recevoir un prix au nom de Wilhelm Melchior, dramaturge et metteur en scène qui fut à l'origine de la gloire de l'actrice, deux ou trois décennies plus tôt. Melchior s'est retiré du monde et a chargé Maria des mondanités.

 

Armée de deux téléphones cellulaires, Valentine gère avec une brutalité indifférente l'emploi du temps de son employeuse – ses interviews ou son audience de divorce. Bientôt, l'un des téléphones annonce la mort de Melchior, forçant le duo à se soumettre aux rites du deuil à l'âge des réseaux sociaux. Valentine lit les premiers commentaires des internautes, Maria doit faire étalage de sa douleur au téléphone pour le bénéfice d'une radio française.

 

La mise en scène fluide, qui utilise le roulis du train, l'étroitesse des couloirs et la perfection du jeu des actrices, suscite immédiatement l'illusion d'être passé dans les coulisses du spectacle, dans les cuisines où se fabriquent, sans qu'on puisse les distinguer, l'art et les innombrables conversations qu'il inspire, des plus futiles aux plus graves.

 

Cette illusion, Olivier Assayas l'imposera sans effort apparent, jusqu'au dernier plan. En cela, Sils Maria appartient à la famille des films qui chantent le spectacle, ses charmes puissants et ses vapeurs toxiques – à la famille d'Eve, de Joseph Mankiewicz, du Dernier Métro, de François Truffaut.

 

Comme ces deux films, Sils Maria passe par le théâtre, en l'occurrence par la pièce qui rendit Maria Enders célèbre, Le Serpent de Maloya, histoire d'amour tragique entre une jeune femme ambitieuse, Sigrid (le rôle qui fit de Maria une star), et Helena, de vingt ans son aînée, qui préfère renoncer à la vie plutôt qu'à son amante.

 

Lors de la cérémonie d'hommage à Wilhelm Melchior, un jeune metteur en scène allemand a proposé à Maria Enders de prendre le rôle d'Helena, pendant que celui de Sigrid irait à Jo-Ann Ellis (Chloë Grace Moretz), une étoile montante hollywoodienne aussi célèbre pour ses rôles dans des films de super-héros que pour le florilège de ses frasques qu'elle a composé sur YouTube.

 

La partie centrale du film est occupée par un duo pour actrice réticente et assistante ambivalente. Dans le chalet où Melchior a passé ses derniers jours, Maria et Valentine répètent la pièce. L'actrice ne se résigne pas à ce passage à l'âge mûr, menace de renoncer au projet. En face, Val, opaque, la pousse dans ses retranchements pour ensuite être frappée par les humeurs massacrantes qu'elle a provoquées. Ce long moment d'intimité, entrecoupé d'excursions dans la montagne, d'une visite de Jo-Ann (qui, à rebours de Val, expose son désir – être célèbre, tout de suite et pour toujours – sans la moindre pudeur), donne parfois le vertige. La même conversation peut dire à la fois l'affrontement entre deux générations, élaborer une théorie de l'art dramatique, et laisser deviner les désirs les plus intimes de deux protagonistes.

 

La relecture de ce texte (qui n'est pas fait que de mots) donne une première et très forte raison de voir Sils Maria plus d'une fois. L'autre tient aux deux actrices principales. En découvrant le film à Cannes, la virtuosité sobre de Kristen Stewart a frappé, au risque de laisser son aînée dans l'ombre. Avec ses cheveux emmêlés, sa garde-robe pitoyable, la ci-devant idole des adolescentes (grâce à la série Twilight) apparaît comme une force sombre, dont la puissance d'analyse finit par infléchir la course de celle qu'elle est censée propulser. On ne saura rien de son itinéraire, de ses raisons. Sans ces béquilles, Kristen Stewart fait exister ce personnage, imposant la part de mystère d'un être dont le métier est de rendre l'ineffable trivial.

 

Il y a bien sûr beaucoup d'ironie à confier à l'une des principales vedettes et victimes du star-system dans sa version numérique le rôle d'une analyste froide de ce même système. Ce sarcasme est vite oublié en découvrant l'étendue du talent de Kristen Stewart. Il y a là un effet de surprise qui masque un peu le travail de Juliette Binoche, qu'une deuxième vision met en évidence. La Française joue une actrice qui arrête de jouer, butant contre l'obstacle impalpable et fuyant du temps qui passe. On peut y voir du courage, l'actrice y met surtout une immense intelligence.

 

Olivier Assayas, auteur unique du scénario, amène Maria Enders jusqu'à Londres, où les dernières répétitions du Serpent de Maloya sont bouleversées par une tempête sur les réseaux sociaux et les vieux médias. Cette coda d'une grande cruauté donne à Sils Maria, qui a été en chemin une comédie et une élégie pour un rapport à l'art aujourd'hui disparu, toute sa force.

 

Thomas Sotinel

Le Monde -19.08.2014

 

 

Sils-Maria

Sils-Maria est un petit village des Alpes (Grisons) à 1800 m d'altitude au Sud-Est de la Suisse qui fait partie de la commune de Sils im Engadin/Segl.

Le serpent de Maloja

Olivier Assayas s'intéressa pour son film au phénomène météorologique des nuages de l'Engadine, sorte de bande nuageuse se déversant dans la vallée homonyme en Suisse. Déjà, en 1924, à l’aube du cinéma, Arnold Fanck, l’un des pionniers de la photographie alpine, a filmé cet étrange Phénomène nuageux de Maloja. Le réalisateur y voit un style graphique jouant des pleins et des vides à la manière de la peinture chinoise.

Le serpent de Maloja est un étirement en bande de nuages bas qui peut s'observer durant l'automne. Il s'allonge de Sils Maria à Silvaplana et jusqu’à St Moritz et laisse encore aujourd'hui les spécialistes stupéfaits de sa conséquence : les vents de l'Engadine, vents de nuit à courant descendant mais s'observant en plein jour.

De Nietzsche à Olivier Assayas

« Il me semble avoir trouvé la terre promise… Pour la première fois, une sensation de soulagement… Cela fait du bien… Je veux rester longtemps ici… » Friedrich Nietzsche, dans une lettre à sa sœur Elisabeth, datée du 24 juin 1879, évoque ainsi sa villégiature de Sils-Maria, en Engadine. En cette fin du XIXe siècle, peu de gens étaient tombés sous le charme de cette localité suisse nichée entre trois lacs au cœur de la vallée des Grisons. Une ignorance vite réparée : depuis, ce bassin reste étroitement lié à la littérature et à la philosophie, d'Herman Hesse à Thomas Mann, de Rainer Maria Rilke à Marcel Proust, d'André Gide à Jean Cocteau ou à Anne Frank, qui y passa les étés 1935 et 1936.

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