Mommy

Synopsis

Une veuve mono-parentale hérite de la garde de son fils, un adolescent TDAH impulsif et violent. Au coeur de leurs emportements et difficultés, ils tentent de joindre les deux bouts, notamment grâce à l'aide inattendue de l'énigmatique voisine d'en-face, Kyla. Tous les trois, ils retrouvent une forme d'équilibre et, bientôt, d'espoir.

Critiques

« Mommy » : tragédie maternelle au carré


LE MONDE | 07.10.2014 à 11h52  |Par Thomas Sotinel

 

Commençons par la géométrie. C’est elle qui détermine la grande singularité de Mommy, projeté en format carré. Même au temps des grands ancêtres, l’écran était plus large que haut ; Chaplin, Lang ou Eisenstein profitaient du rapport 4/3 pour tenter d’élargir l’image à proportion du champ visuel.


Xavier Dolan, dont on sait depuis six ans, depuis ses 18 ans, qu’il ne s’embarrasse pas de ce qui est venu avant lui, a choisi de raconter une histoire dans un carré. Le carré, dit-il, est favorable au portrait, à la communication des sentiments. De sentiments, Mommy en est saturé, des meilleurs aux pires, de l’amour à la destruction, de la solidarité à la haine. Mais le carré, c’est aussi le format des cases, des cellules, des espaces où l’on enferme. Et Mommy est aussi une tragédie, qui sépare des personnages par les moyens mêmes qui devraient les unir – l’amour, l’amitié, la solidarité.

Pris dans un cadre carré, les protagonistes d’un dialogue ne dialoguent plus, ils monologuent, et l’on se demande s’ils s’entendent seulement. Regardez Die et Kyla se raconter leurs vies, par exemple.


LES RAVAGES DE L’AMOUR MATERNEL

Car il est temps de passer à l’histoire. Il a beau s’en défendre, Xavier Dolan est obsédé par les ravages que peut exercer l’amour maternel sur une existence. C’était le thème central de J’ai tué ma mère, l’un des ressorts dramatiques de Laurence Anyways et de Tom à la ferme, et l’auteur le dit présent, quoique caché, dans Les Amours imaginaires.

 

Diane Després, dite Die (Anne Dorval, et, puisqu’on en est aux parenthèses, Die veut aussi dire « mourir » en anglais) est un peu à la ramasse. Du genre à ne pouvoir passer un carrefour en voiture sans se faire accrocher. Au début du film, son fils Steve (Antoine-Olivier Pilon) est interné dans un centre un peu thérapeutique, un peu carcéral, dont il se fait renvoyer pour avoir incendié la cafétéria (et l’un de ses codétenus). Désormais affligée à plein temps de ce jeune adolescent, Die se débat puis se bat avec lui. Cet affrontement terrifiant provoque l’intervention de la voisine d’en face.

Die vit dans un lotissement cossu, souvenir du temps où le père de Steve était encore de ce monde. Et la femme d’en face, Kyla (Suzanne Clément), n’est pas une pauvresse un peu vulgaire qui parle en joual comme Die. C’est une enseignante, mariée à un cadre supérieur, qui fut la mère de deux enfants avant que l’un disparaisse. Ce traumatisme, ou un autre, l’a frappée d’un trouble de l’élocution qui la fait parler comme d’autres défèquent. « Pousse », lui dit Steve, que rien ne peut empêcher de nommer les choses.

 

Entre ces trois êtres abîmés, enfermés chacun dans son carré, Xavier Dolan esquisse la construction d’une utopie. Die y contribuerait par son énergie, sa sensualité ; Kyla son savoir, son obstination raisonnée ; et Steve représenterait l’espoir d’un autre ordre, qui ferait sa place au désir et à la déraison. Dans ces images qui ressemblent à des Polaroid saisis dans l’instant, aux visions d’un voyeur pénétrant dans les intimités les plus secrètes, les trois comédiens révèlent tout de leurs personnages, forçant le spectateur à sortir de sa position de témoin pour devenir le quatrième protagoniste de la tragédie.


UNE TRAGÉDIE

Car quoi qu’en dise Xavier Dolan, Mommy est une tragédie, comme Médée pour parler d’une autre mère qui voudrait faire au mieux et en arrive au pire. Son scénario, d’une précision quasi maniaque (les leçons hitchcockiennes de Tom à la ferme n’ont pas été apprises en vain) dispose les agents du destin sous des formes anodines (un facteur, un huissier…) mais inexorables. Car dès le début, une série de cartons nous a prévenus : Mommy ne se passe pas dans le monde réel, mais dans un Canada où une loi, dite S-14, autorise les parents à abandonner leurs enfants récalcitrants aux bons soins d’un système psychiatrico-pénitentiaire.


Cette histoire d’amour, comme les autres, finira mal. Pourtant, le goût qu’elle laisse n’est pas amer. Die, Steve et Kyla n’ont pas démérité. On ne leur tiendra pas rigueur de leurs faiblesses, de leurs lâchetés, de leurs défauts constitutifs. Enfant de son temps, Xavier Dolan met en scène des existences bornées par toutes les contraintes, mais réussit à convaincre qu’elles valent la peine d’être vécues.    

 

« Mommy » , de cris et de grandeur

 

LIBERATION | 06.10.2014 à 20H06 |Par Gérard Lefort




Rien à foutre, à fond et jusqu’au bout ! Le 5e film de Xavier Dolan bouscule.

Mommy nous parvient à ce jour nimbé d’un boucan laudatif né en mai au festival de Cannes et qui depuis n’a fait qu’augmenter. Son jeune auteur, Xavier Dolan, gueule de mode idéale, mignon comme un cœur, a œuvré à intensifier ce déluge de dithyrambes, s’adonnant sans réserve aux couvertures de tous les magazines, à moult émissions de télévision.


Secousses. Cette unanimité, qui d’ordinaire rend méfiant, éveille au contraire le désir d’en rajouter. Alors, oui, allons-y sans tortiller,Mommy est LE film de la rentrée, un amour de film, celui qui nous perturbe. Car l’excès, le vacarme et la fureur irraisonnables sont justement son sujet, sa grande affaire.

A l’oreille, dès la première réplique, une histoire de bruits. Dans ce film québécois, la langue parlée est telle - le joual, sabir argotique - qu’on n’y comprend pas grand-chose et justifie les sous-titres. La première impression est déroutante d’un français dont on comprend à peu près le sens, ou en tout cas la musique, mais dont les mots, traîtres mots, nous filent entre les lèvres.


Le français comme langue minoritaire, voilà déjà qui secoue. Et le cadre choisi aussi ; drôle de cadre dont on a perdu la mémoire depuis l’origine du cinéma, un format vertical qui donne envie d’attaquer l’écran au pied-de-biche, comme on le ferait quand on arrive dans une location de vacances pour ouvrir les volets et tirer les rideaux, déplier l’image, l’aérer, pour y voir plus grand, plus clair. D’autres déroutes, d’autres tremblements vont advenir dans un film qui procède par secousses annonciatrices d’un tremblement de terre de très grande magnitude.


De ce fait, les répliques sont à prendre au sens tellurique, littéralement sismiques. Et le cadre aussi, coup de force, glissement de terrain, faille intempestive qui crevasse nos habitudes de regardants, qui invente, image par image, l’évidence de son cataclysme, impose son naturel détraqué, dès lors qu’il n’agit pas comme un confinement asphyxiant mais au contraire comme une ouverture sur un paysage incendiaire, au plus près de la lave qui avance et, inexorablement, le dévaste.

L’histoire immédiatement volcanique est celle de Diane Després, une mère quarantenaire et éruptive venue chercher son jeune fils, Steve, dans un internat correctionnel d’où il vient d’être viré suite à l’incendie qu’il a provoqué et dans lequel un des pensionnaires a été grièvement brûlé. Steve, ado d’emblée exaspérant et aimable, marrant et odieux, généreux mais à l’occasion raciste, tellement agité du bocal que le bocal est cassé. Steve, blondinet atrocement adorable qu’on a tout autant envie de gifler (le film s’en charge, plus souvent qu’à son tour) que de serrer dans ses bras, pauvre petit poulet (là aussi, le film fait l’affaire).

Lazzis. Tel fils, telle mère : Diane la foutraque, qui n’a pas grand-chose dans ses poches ni son panier percé, sinon un ahurissant bazar zoulou plus vraiment de son âge (il est pas joli mon briquet Hello Kitty ?). Une perdante ? Une paumée ? Un peu trop voyante, un rien gênante, limite travelo trop maquillé ? Sûrement oui, certainement non. Il suffit d’un mot de travers pour allumer son humeur ombrageuse de sulfateuse hors pair, Diane méchamment chasseresse prompte à cribler de flèches empoisonnées la moindre atteinte à son intégrité de femme célibataire, fraîchement veuve, grosse clopeuse, un chouille alcoolique, habillée comme une ado trop moulée, galérienne de petits boulots plus ou moins tarés-ratés (rédactrice d’un courrier du cœur, femme de ménage chez les riches, ce genre). Mère courage (fuyons!).


Retour au bercail pour Steve, dans un appartement à la déco désuète car repris en l’état d’une mémé à papiers peints pourris et mobilier vide-grenier. Les portes claquent, les beignes pleuvent, les étreintes aussi. A force de hurler ou de se taire, le malentendu s’épaissit. N’était l’intrigante présence apaisante de Kyla, une voisine institutrice en congé thérapeutique car atteinte d’un bégaiement censément psychotique. Bilan à même pas mi-parcours : un demi-givré, une agitée du grelot et une dépressive. Trio incarné par trois acteurs extraordinaires et excessifs (Antoine Olivier Pilon, Anne Dorval, Suzanne Clément) au comble de la puissance frictionnelle, en donation totale.


«Ligne d’ombre». Xavier Dolan a tout bouffé des images «modernes», du clip à la pub, du cinéma d’auteur au film hollywoodien. Pop-corn autant que pop art,Mommy pratique une sorte de karaoké des images que Dolan épingle sur le mur de ses rêves, qui le font vivre et survivre à n’en pas douter, mais qu’il interprète à sa façon, même s’il les chante mal ou faux, par cœur et jusqu’à la lie, à l’instar d’une des plus émouvantes scènes de Mommy où dans un bar à chansons, Steve s’obstine jusqu’au malaise dans le remake d’un hit d’Andrea Bocelli, Vivo per lei, sous les lazzis d’un public d’hétéro-beaufs qui le traitent de tarlouze. Rien à foutre, à fond et jusqu’au bout ! Ce pourrait être le slogan de ce film ultra, terriblement rebelle aux tiédeurs de la connerie ambiante ou du bon goût obligatoire.

Sous le couvert de son exubérance tonitruante, derrière l’écran fumant, Dolan allume la mèche lente d’une bombe autrement atomique quoique bien plus silencieuse. Il n’y a pas tant de chose à dévorer des yeux dans Mommy, plus festin nu que grande bouffe. Reste sur la table quelques mets délicats et rares : l’utopie d’un ménage à trois (deux femmes, un jeune homme, comme une inversion deJules et Jim) mais sans aucune sorte de sexe obligatoire, une family life inventée sur le tas avec les pauvres moyens du bord.

L’amour en cage est le nom d’une jolie fleur. Mais aussi et surtout, serre-kiki qui pique les yeux, un impressionnant requiem pour une espèce fatalement en voix d’extinction, l’état de jeunesse, la belle et folle immaturité. Comme si Dolan avait filmé «la ligne d’ombre» décrite par Conrad dans une de ses nouvelles, ligne que l’on franchit un jour sans le savoir, frontière indiquant que l’on doit laisser la première jeunesse derrière soi et qu’on ne fera désormais que se souvenir, se retourner.


Mommy est le documentaire d’une belle maladie incurable, maladie d’amour, maladie de la jeunesse, qui n’aura survécu et jubilé que le temps d’une rémission, pendant les très furtives 2 h 14 que dure le film. En ouverture de Mommy, une psy diagnostique la faillite à ses yeux du rapport passionné entre Diane et Steve : «Ce n’est pas parce qu’on aime quelqu’un qu’on peut le sauver.»«Les sceptiques seront confondus», répond Diane, pour une fois parfaitement audible. Bien reçu et touché.«Mommy, je t’aime», c’est une bonne idée pour un tatouage.

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