A la vie

Synopsis

1960. Trois femmes, anciennes déportées d’Auschwitz qui ne s’étaient pas revues depuis la guerre, se retrouvent à Berck-Plage. Dans cette parenthèse de quelques jours, tout est une première fois pour Hélène, Rose et Lili : leur premier vrai repas ensemble, leur première glace, leur premier bain de mer… Une semaine de rires, de chansons mais aussi de disputes et d’histoires d’amour et d’amitié...

Critiques

Les pieds nus dans la neige polonaise, la peau gelée sur les os, les yeux plus grands que leurs ventres faméliques, des déportées aussi frêles que des ombres répondent à l'appel dans le cœur de pierre d'une nuit sans fin. Devant l'avance des Alliés, les nazis décident d'évacuer le camp. Sous les aboiements des chiens, les coups de feu tirés sur les agonisants, la longue marche de la Mort s'ébroue prolongeant le cauchemar par un autre cauchemar. Séparées, Hélène (Julie Depardieu), Rose (Suzanne Clément) et Lili (Johanna ter Steege) réchapperont de cette marche ou crève sans qu'aucune ne sache si les autres ont survécu. Après la guerre - l'une vit à Paris, une autre en Hollande et la troisième au Canada – elles se rechercheront quinze années durant avant de se retrouver enfin sur une plage du Nord où l'air est si pur qu'elles pourront, peut-être, souffler sur les cendres de leur passé. Après la neige glaciale, le sable chaud. Après la nuit noire, le soleil blanc. Mais après le brouillard, les brumes de l'horreur continuent à hanter leurs cœurs meurtris. Seules l'amitié, les blagues juives et les glaces en cornet parviendront à les dissiper…


Hommage délicat à ces trois rescapées que le réalisateur a connues (l'une d'elles est sa propre mère), ce drame teinté d'humour traite d'un thème rarement abordé au cinéma, celui du sort des déportés après leur retour de captivité. Tous ont connu l'enfer, le vrai. Celui des diables cornus semble paradisiaque à côté. Tous ont perdu des proches, des parents, des bébés… Certains ont même subi les expériences des «médecins» d'Auschwitz. Comment continuer à vivre après et avec ça ? Porté par ses trois formidables interprètes, «A la vie» soigne tous les petits détails qui font les grandes histoires. Quant à la reconstitution du camp d'extermination, elle est saisissante. Même réussite pour le Berck-Plage de 1960, ressuscité, avec toutes ses voitures colorées comme du Jacques Demy, avec un soin «Tati»llon. Il ne manque que le Solex de Mr Hulot. Prenant le temps d'installer son film, Jean-Jacques Zilbermann réussit à générer toute la gamme des émotions, note après note. On en sort émus, et bien résolus, nous aussi, à trinquer «à la vie». Lehaïm !


Parismatch

Un projet de longue date

A la vie est librement inspiré du vécu de la mère du réalisateur. Il y a quelques années, Jean-Jacques Zilbermann l'avait filmée elle et ses amies alors âgées de soixante-dix ans environ. Cherchant à conserver un témoignage de ces trois femmes, le metteur en scène en fit un documentaire de 52 minutes intitulé "Irène et ses soeurs", qui ne fut jamais diffusé. C'est à partir de ces récits qu'il décida pourtant, après mûre réflexion, d'en faire une fiction. Ainsi, les souvenirs de déportation évoqués dans le film sont de véritables faits vécus par les trois rescapées.

Un casting aux accents de réalité

Pour le casting du film, Jean-Jacques Zilbermann voulut se coller au plus près de la réalité, c'est pourquoi il respecta les origines des trois protagonistes en engageant une actrice française (Julie Depardieu), canadienne (Suzanne Clément) et hollandaise (Johanna ter Steege) : "Julie, Johanna et moi sommes très différentes ; nous venons de pays différents et nos modes de vie ainsi que là où nous en sommes dans nos vies sont très dissemblables tout comme pour Hélène, Rose et Lili. Je crois que ce sont précisément ces différences qui ont nourri nos personnages", commente Suzanne Clément.


Entretien avec le réalisateur Jean-Jacques Zilbermann

A la vie est un film très intime, puisqu'il évoque l'histoire de votre mère, ancienne déportée d'Auschwitz. Racontez-nous le trajet de cette oeuvre, de votre vécu d'enfant à votre désir de cinéaste...


Mon père et ma mère ont tous deux été déportés, j'ai donc grandi dans cette ambiance depuis mon enfance. On habitait dans le 12e arrondissement, dans un appartement de 40 m2. Mon père était traumatisé et ne parlait pas de la déportation. Ma mère était militante, elle en parlait tout le temps. Dès l'âge de 10 ans, j'ai compris, à travers les photos que je voyais partout dans l'appartement. Des photos de déportés en noir et blanc qu'à l'époque, dans les années 60-70, on ne voyait plus, parce qu'il y avait alors un long silence à ce sujet.


Il s'agissait d'une certaine façon de mon regard d'enfant sur mes parents mais je ne me sentais pas assez mûr pour écrire une histoire pareille.


Lorsque ma mère est décédée, j'ai eu envie de continuer à être un peu avec elles qui n'étaient plus là. C'est là que j'ai voulu commencer à raconter l'histoire de leur sororité. En 1997, j'étais descendu les voir au bord de la mer. Je les avais filmées pendant quatre heures. Un film qui est devenu un film de famille et dont j'ai mis quelques images à la fin du film. Je me suis mise à écrire cette histoire en me demandant comment la raconter. Ce qui m'a frappé, c'est que lorsque je les avais filmées, elles étaient en maillot de bain. Je les avais beaucoup vues ainsi d'ailleurs. C'était ce qui m'avait le plus marqué et à l'époque, je n'arrivais pas à imaginer que ces femmes si jeunes avaient vécu Auschwitz. Mon cheminement a été celui-là.



La question de la Vérité a certainement dû être prépondérante à chaque étape de votre film. Vérité du vécu et du ressenti intimes, vérité des camps... Qu'est-ce qui a été le plus difficile à restituer? Qu'est-ce qu'il vous était essentiel de dire, d'exprimer à travers ce film?


Ce qui a été compliqué tout d'abord, c'est que je n'avais pas envie de me replonger dans tous les livres sur la déportation mais je l'ai fait. Je voulais que tous les détails, tous les témoignages soient justes. Quand ma mère est décédée, on a vidé l'appartement. Il y avait tous ses livres... Elle m'a laissée un héritage énorme pour écrire ce film-là. Avec ma co-scénariste, on a puisé là-dedans. J'ai l'impression qu'elle était là et écrivait avec nous. La petite chanson qu'elle fredonnait en colonie de vacances à Berck m'a presque donné l'endroit où je devais tourner le film.


Je sentais que c'était un film à responsabilité grave, et non à responsabilité limitée comme dans mes autres films où j'avais le droit de dire ce que je voulais ou d'être imprécis. Là il fallait que ce soit juste, vraiment. Tous les témoignages sur la déportation sont vrais, mais ils sont mêlés dans le film. Mon père n'est par exemple qu'une partie du personnage d'Henri (Hippolyte Girardot). Il ne s'agissait pas de raconter une histoire d'amour sulfureuse, une tromperie amoureuse à Berck dans les années 60. Je voulais toujours raconter en creux la déportation et ici l'impuissance d'un homme, la barbarie nazie, leurs expérimentations.


Ce n'était pas un devoir de mémoire dans mon esprit mais c'était vraiment lié à la peine que j'avais qu'elle ne soit plus là. Il y a un message implicite, ce n'est pas un film didactique. Je n'ai pas cherché à démontrer quoi que ce soit. Ce que j'ai vu, c'est la manière dont ces femmes survivaient à tout cela. Ce n'était pas un film qui sanctifiait ou sacralisait les morts de la Shoah dans mon esprit mais qui sacralisait la vie. Jamais on ne raconte cela. On raconte l'avant-guerre, la déportation mais pas la façon de se réinstaller dans la vie, dans un monde en pleine mutation, ici les années 60, un monde qui avait changé. Elles avaient eu 20 ans à Auschwitz et elles voyaient arriver le rock'n roll, le twist. Il fallait qu'elles rentrent dans un autre monde à une époque où le silence était très très grand, où on n'en parlait pas.

Choisir vos actrices, c'était choisir votre famille, "vos trois mamans", comme vous dites. Comment avez-vous procédé et comment avez-vous travaillé à les faire exister?



Le plus difficile a été de les diriger en même temps ! Elles sont souvent d'un même plan, or elles ont chacune leur école de cinéma et de théâtre. J'ai choisi des actrices correspondant aux nationalités de ma mère et de ses amies. J'avais vu Suzanne Clément dans Laurence Anyways et avais demandé à la fille de Rose ce qu'elle en pensait. Elle m'a répondu qu'elle était très connue au Canada, où elle a une série télé très célèbre (Les hauts et les bas de Sophie Paquin). De même pour la fille de Lili avec Johanna ter Steege, reine du théâtre hollandais. Elle la connaissait en tant que spectatrice, donc on l'a rencontrée ensemble.


C'est avec les enfants des femmes dont je racontais la vie que j'ai choisi le casting féminin. Elles jouaient le rôle de leur mère, je voulais qu'elles sentent que c'était possible. J'ai pensé à faire lire aux actrices des livres sur la déportation, mais c'est très pénible. Tout le monde n'est pas prêt à entrer là-dedans, c'est très douloureux. J'ai donc commencé par le yiddish, leur demandant d'apprendre à chanter. Je me souviens que sur L'homme est une femme comme les autres, Catherine Hiegel et Maurice Benichou avaient une scène entièrement en yiddish et Catherine m'avait dit que c'était plus dur à apprendre qu'une tragédie de Racine. Notamment avec les accents toniques sur les mots et la prononciation. C'est ainsi, par le chant, que j'ai répondu peu à peu à toutes les questions qu'elles se posaient sur la déportation de ces femmes que je connaissais si bien...


Allociné / Par Par Laetitia Ratane

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