Eva ne dort pas

de Pablo Agüero

Synopsis

1952, Eva Perón vient de mourir à 33 ans. Elle est la figure politique la plus aimée et la plus haïe d'Argentine. On charge un spécialiste de l'embaumer. Des années d'effort, une parfaite réussite. Mais les coups d'état se succèdent et certains dictateurs veulent détruire jusqu'au souvenir d'Evita dans la mémoire populaire. 

 

 

Dossier de presse

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Critiques

Il était une fois, sur une terre australe appelée Argentine, des créatures nommées gorilas, les «gorilles». Ils devaient leur nom, dit-on, à une blague sur Mogambo, un vieux film de John Ford avec Ava Gardner et Clark Gable. Les gorilas étaient une force réactionnaire rassemblée contre ceux qui dirigeaient le pays, le général Perón (1895-1974) et sa seconde épouse, Eva (1919-1952), puis, plus tard, contre leur héritage politique. Les nouvelles qui nous parviennent de ce pays racontent que les gorilas y seraient aujourd’hui au pouvoir. Or, les gorilas ont une histoire et une mythologie, comme leurs ennemis jurés.

 

Eva ne dort pas, quatrième film de Pablo Agüero (auteur d’un premier long remarqué, Salamandra, en 2008), n’a pas grand-chose à voir avec celui de John Ford. S’il nous parle beaucoup d’héritage, celui-ci est plus politique que cinématographique - l’héritage des mythes gorilas et celui des mythes péronistes, sur le lieu sacré où ils se rencontrent : le cadavre embaumé d’Eva Perón. Le lieu d’un mystère, celui de son vol et de sa disparition pendant presque vingt ans.

 

Fascination historique.

C’est un film sur cette idée louche qu’est la concurrence mémorielle, charriant son cortège de sensualités nécrophiles. Une question intéressante, celle de comment filmer un mythe national, en devient une autre : comment filmer deux mythes nationaux, amour et haine, réunis sur un seul être ? Il y a eu beaucoup de films cherchant le corps vivant d’Eva Perón - le plus habité restant celui de l’actrice Esther Goris dans un film argentin (Eva Perón, 1996). Cherchant son corps mort, beaucoup moins.

 

Une nouvelle de l’écrivain Rodolfo Walsh, lui-même disparu en 1977 sous une dictature militaire gorila, Esa Mujer («cette femme»), évoquant une des vies du cadavre d’Evita, semble servir d’inspiration à Eva ne dort pas. La principale idée du film, à l’heure de profaner les mythes, est mimétique. Présenter le kitsch politique (la mémoire refabriquée) au moyen du kitsch cinématographique (la mimique côté personnage, la jaunisse côté image).

 

Cette méthode poussée à bout, nous voilà devant un film passionnant et apolitique. En cédant à la fascination historique, à la fidélité tendance croque-mort, on y jouit d’une belle galerie de portraits.

 

Amour fou.

Il y a, nommés ou déchiffrés, l’amiral Massera, membre de la première junte militaire fasciste, au pouvoir en 1976 ; le colonel Koenig, vigie fétichiste du rapt d’Evita ; le docteur Ara, embaumeur ; le général Aramburu, dictateur renversant une première fois Perón en 1955, ici scruté au moment de son exécution, en 1970, par un groupe péroniste armé, les Montoneros, qui cherchent la vérité sur le destin du corps. Ces militants (parmi eux Carlos Ramus ou Fernando Abal) restent des ombres dans le film : c’est qu’il cherche à tout prix la vérité du mythe d’Eva Perón du côté gorila, celui d’un amour fou sublimé en haine. Il cherche le point de vue de la mort sur la vie. Il y trouve des vérités psychologiques, ces choses qui ressemblent tant, au cinéma, à des clichés. Tout le monde aime donc Eva Perón ? Mais certains n’aiment pas seulement son image, ni son imago, qui, dit-on, veut dire «masque mortuaire». On demande un peu plus d’amour.

 

 Libération de Luc Chessel

Entretien avec le réalisateur Pablo Agüero

Cédric Lépine : Votre film est en quelque sorte un « anti biopic », puisque vous évoquez un personnage à travers la « vie » de sa mort.

 

Pablo Agüero : Dans le bio-pic, on essaie de « calquer » ce que l’on croit connaître d’une personnalité historique. J’ai fait le contraire. J’ai imaginé un nouveau genre que l’on pourrait appeler « nécro-pic ». Au lieu de raconter la vie d’Eva, je montre comment elle vit après sa mort, dans l’esprit des vivants. Les images sont beaucoup plus intenses lorsqu’elles se produisent dans l’esprit du spectateur.

 

 C. L. : Après Salamandra et 77 doronship dont les scénarios sont construits pour une grande part sur des éléments autobiographiques, comment aborde-t-on une figure iconique et populaire comme celle d’Eva Perón ?

 

P. A. : J’ai fait des recherches pendant plusieurs années. J’ai découvert une femme politique très complexe, haïe par certains à cause de ses discours virulents et de ses manières démagogiques, aimée par d’autres parce qu’elle s’est battue pour la redistribution des richesses, pour les droits des femmes, des ouvriers, des enfants.

 

C. L. : Tous les protagonistes d’Eva ne dort pas s’affirment avant tout comme des corps à l’instar de celui du cadavre d’Eva Perón : la tête de Gael García Bernal, le jeu très physique de Denis Lavant, le corps violenté et menacé de mort de Daniel Fanego, etc. Comment avez-vous travaillé cette mise en scène avec des acteurs issus de pays (Argentine, Mexique, France, Espagne) et de jeu d’acteur si distincts ?

 

P. A. : Il y a un défi singulier pour chacun. Gael, l’un des acteurs les plus beaux et sympathiques du monde, joue l’un des dictateurs les plus sanguinaires. Denis Lavant doit parler en espagnol, une langue qu’il ne comprend pas. Fanego, le meilleur acteur argentin, mais aussi un vieux militant péroniste, doit incarner le pire ennemi du péronisme.

 

Je les voulais métamorphosés, possédés, un peu somnambules, comme s’ils naviguaient dans leur propre cauchemar, aussi effrayés que fascinés. Je les ai poussés vers une forme de débordement. Ce choix va à l’encontre d’un air du temps, qui veut que les acteurs se bornent à « jouer juste ». J’ai pris ce risque en m’emparant de cette phrase de Bonnard qui disait qu’il ne s'agit pas de peindre la vie, mais de rendre vivante la peinture.

 

 

C. L. : Comment avez-vous utilisé les sources historiques de la tribulation du corps d’Eva Perón ?

 

P. A. : J’ai voulu être le premier à retracer intégralement cette histoire réelle, qui est l’un des grands mystères de la guerre froide. Mais je suis arrivé à la conclusion que tous les témoins et protagonistes de l’histoire donnaient des versions conditionnées par leurs intérêts politiques. J’ai alors décidé de faire ma propre interprétation des faits et de donner au film une couleur presque onirique, pour ne pas tomber moi aussi dans une prétention d’objectivité. Mais cette ambiance de rêve est aussi celle qui me captive le plus en tant que spectateur de cinéma.

 

 

 

C. L. : Qu’incarne pour vous Eva Perón plusieurs décennies après sa mort ?

 

P. A. : L’idée est que tant qu’il n’y aura pas de justice sociale, il n’y aura pas de paix. C’était son principal message, celui qui l’a rendue immortelle, qui fait qu’elle reste la figure centrale de la politique argentine 70 ans après sa mort. Eva a beaucoup de contradictions, comme toute personne, comme toute figure politique. Mais ce message va au-delà d’elle. Il est toujours aussi présent et pressant.

 

 

 

C. L. : Cette succession d’hommes dont le discours misogyne pour certains explose avec violence face au corps d’une femme politique était-il un des enjeux déterminant de votre scénario ?

 

P. A. : J’ai choisi le point de vue des adversaires d’Eva pour éviter le pamphlet, pour bousculer le spectateur et le laisser chercher sa propre place. Ces hommes sont des représentants d’un pouvoir masculin et conservateur. Rien ne les perturbe autant qu’un corps de femme. Une femme jeune, belle, morte mais immune au temps, et dangereusement politisée.

 

 

 

C. L. : Le titre Eva ne dort pas évoque aussi bien un « repos éternel » impossible que le fait que le personnage politique qu’était Evita ne « joue » plus : elle ne dort pas, elle est vraiment morte. De même tous les personnages révèlent au contact de son corps leur part leur plus sombre mais vraie, loin de la mise en scène officielle. Qu’est-ce qui a déterminé pour vous ce choix de titre ?

 

P. A. : Son nom a été interdit par la loi, son corps a été caché partout dans le monde, enterré 25 ans après sa mort, sous 6 mètres de béton. Elle ne repose pas en paix. Mais ce n’est pas ce qu’elle voulait non plus. Dans son dernier discours, elle menace les militaires et le clergé, qui préparent déjà le putsch. Devant deux millions de manifestants qui scandent son nom, elle crie : « Je reviendrai, morte ou vivante ! ». Elle ne dormira plus. Elle a déclenché un incendie que plus personne ne peut éteindre.

 

 

C. L. : Le film se place exclusivement en situation nocturne ou dans un lieu souterrain où l’on n’a plus de conscience du jour et de la nuit ? Seuls les corps sont dès lors apparents avec un très beau travail sur le clair obscur : ce parti pris esthétique était-il déterminé dès le début du projet ? Comment a-t-il évolué au cours du tournage ?

 

P. A. : Mon premier parti pris a été de me concentrer seulement sur l’essentiel : privilégier l’expérience intime au lieu de la grande reconstitution, filmer des corps-à-corps plutôt que des foules, montrer moins pour suggérer davantage. J’ai poussé ce parti pris de plus en plus loin.

 

J’ai cherché le plus possible de hors champ, de métonymies, de références souterraines que le spectateur n’est pas obligé de déchiffrer, mais qui renvoient à une réalité beaucoup plus vaste que ce qui est dit et montré à l’écran.

 

J’ai tout réduit à trois huis clos rigoureux. Je n’ai tourné que dans des décors artificiels, qui ont été conçus à la mesure du découpage du film. Les éclairages ont été faits en même temps que le décor, pour sculpter l’espace avec les objets et avec les ombres à la fois. On est arrivé à un film où le jour et la nuit n’existent plus. Il n’y a que l’intérieur, qui est lui-même une projection de l’intériorité des personnages. Le monde extérieur est construit par le son et par les regards, directement dans l’esprit du spectateur.

 

Médiapart de Cédric Lépine

 

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