Gorge cœur ventre

de Maud Alpin

Synopsis

Les bêtes arrivent la nuit. Elles sentent. Elles résistent.  Avant l'aube, un jeune homme les conduit à la mort. Son chien découvre un monde effrayant qui semble ne jamais devoir s'arrêter.

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Critiques

 Une usine de mort. Où arrivent la nuit des vaches, des cochons, des moutons, par dizaines. On les suit, on plonge dans leur regard, on sent leur souffle, on n'assiste pas à leur passage à tré­pas mais on perçoit leur peur et, qui sait, leur interrogation. Il y a des plans d'une beauté terrible dans ce documentaire-­fiction, par instants très pictural, qui montre la chaîne en cours dans un abattoir, tout en offrant une sorte de tombeau aux animaux tués. Deux personnages sont esquissés, aussi, un jeune bouvier et son chien, toujours ensemble. Leur lien tendre, la vie qui les anime tempèrent ce monde ténébreux. Peu d'humains, mais beaucoup d'humanité dans ce film parfois balourd (dans sa part de fiction et son emploi de la musique) mais, à d'autres moments, vraiment impressionnant. Assurément, la jeune cinéaste a du ­talent.

 

Télérama par Jacques Morice

Deux séquences d’une tonalité onirique encadrent Gorge cœur ventre, premier long-métrage de Maud Alpi : dans la première, à l’orée du film, la caméra à hauteur de chien chemine derrière Boston dans les coursives et les salles vides et silencieuses de l’abattoir. Ce monde de pénombre et d’excréments ne désigne pas encore sa fonction : le chien, d’ailleurs, ne pénètrera pas plus avant dans la machinerie macabre de la chaîne d’abattage. Comme son compagnon d’infortune, le bien-nommé Virgile, jeune homme solitaire et marginal, il restera à la lisière du monde des tueurs, accompagnant les bêtes jusqu’au seuil de la mort. A la coupure radicale qui tend à opposer le dedans et le dehors de l’abattoir, cet antre grouillant de vie et de mort à ce monde d’indifférence ou d’ignorance, Maud Alpi a préféré la lisière ; c’est dans cet interstice que se tient son film, à l’encontre des vidéos militantes de L214 aussi bien que de la distance clinique du Meat de Wiseman. C’est dans ce hiatus qu’il ouvre la possibilité d’une alliance entre animaux et humains, et d’un partage entre documentaire et fiction. Sur cette ligne tangente, Maud Alpi entreprend un récit comme un roman d’initiation. Ses héros sont un duo animal et humain dont le compagnonnage supporte toutes les épreuves et repose sur un partage impartial de la solitude comme de la pitance. Ce récit initiatique concerne peut-être plus encore son personnage canin qu’humain parce que, comme nous, il reste spectateur de la mécanique de l’abattoir, à laquelle le garçon, lui, participe par nécessité et avec le détachement propre à ceux qui œuvrent trop près de la mort. Mais sans doute Alpi préfère-t-elle aussi l’anxiété et la nervosité du corps animal, ses sens en alerte et son regard inquiet, à la parole qui pourrait venir formaliser des émotions humaines.

 

Viendra toutefois le passage dans l’autre monde, celui du dedans : Virgile le franchira en accomplissant le geste des tueurs, abattant une vache qui allait mettre bas. Le feu mis à la carcasse de l’animal, comme une cérémonie destinée à purifier le bourreau de son geste, n’en restaurera pas pour autant l’innocence du jeune homme. Quant à Boston, c’est avec un nouveau compagnon, un autre chien, qu’il traversera l’anti-chambre de la mort industrieuse - deuxième tableau onirique du film, sa séquence finale - pour découvrir l’au-delà de l’abattoir, sa ruine fantasmagorique dans un monde peuplé de chiens. Cette vision d’une apocalypse qui verrait les chiens supplanter les êtres humains et tenter de percer le mystère de leur disparition à travers leurs ruines, invoque le roman de Clifford D. Simak auquel la chienne de Godard faisait référence dans Adieu au langage. Elle ouvre surtout le film à la virtualité d’une échappée par-delà la funèbre mécanique de l’abattoir, en lui opposant un monde rendu à la nature et aux bêtes, d’où toute présence humaine aurait disparu. Puisqu’il ne peut y avoir d’intrigue ni de trame autre que celle de l’infini recommencement de la ronde d’abattage, Alpi choisit de faire basculer cette routine sanglante dans la fiction de sa disparition, suivant ces deux chiens, passeurs entre les mondes - quel autre animal d’ailleurs pour incarner cette figure psychopompe, sinon le chien, gardien des cieux ou des enfers dans la plupart des mythes ?

 

On ne saurait pour autant régler si simplement le sort des hommes de Gorge cœur ventre : dans la trinité de ce titre organique, emprunté à un poème de Pasolini, s’ébauche une partition des affects plutôt que des espèces ; celle qui sépare et néanmoins lie dans une indéniable communauté Virgile, ce jeune homme en marge du monde de ses semblables, les bêtes-compagnes et celles destinées à la mort, communauté non de destin mais d’empathie. A cet égard, le film dessine une cartographie des émotions, et les échanges de regards d’une espèce à l’autre aussi bien que les gestes de sollicitude (Virgile aspergeant d’eau les bœufs pour les tranquilliser après s’être lui-même arrosé) inscrivent les êtres de cet infra-monde dans un partage de la douleur et du deuil. Le montage établit lui aussi des correspondances discrètes mais troublantes, entre l’insouciance de la foule massée autour d’une piscine au-dehors, et le sommeil inquiet des porcelets serrés contre leurs mères au-dedans.

 

Il ne s’agit pas de faire porter à ces images un discours sur une humanité déchue comme s’y employaient Franju et Painlevé dans Le Sang des bêtes. Il ne s’agit pas non plus de restaurer au sein de l’abattoir une intimité en donnant à entendre la parole et les rêves des jeunes ouvriers comme le faisait plus proche de nous et d’une manière si admirable Dans ma tête un rond point d’Hassen Ferhani. Virgile n’aspire à aucune absolution et ne se sent l’esclave de personne. En un sens, Gorge cœur ventre forme aussi l’envers absolu du film de Wiseman : là où celui-ci révélait implacablement l’industrialisation conjointe des corps humains et animaux, repliant symboliquement le sort des ouvriers sur celui des bêtes (comme avant lui les écrits d’Upton Sinclair ou de Georges Duhamel), le film d’Alpi n’est pas fait de viande, mais d’organes palpitants et de chairs frémissantes. Il y est autant question de vie que de mort : celle-ci s’invite partout où la vie affleure, dans la nudité des corps après l’amour qui évoque au jeune homme celle des carcasses dépeaussées, ou dans le corps qui s’ouvre en dépit de tout pour accoucher d’une vie nouvelle dans ce lieu de tuerie. A l’objectivation du sensible, qui détermine selon l’anthropologue Catherine Rémy le travail d’équarrissage (La fin des bêtes. Une ethnographie de la mise à mort des animaux, Economica, 2009), Gorge cœur ventre répond par une hypersensibilité des images et des corps. Comme si, dans ce mouvement secret de la matière des images, se trouvait transposé quelque chose de cette vie animale, en-dehors de la valeur de signification des images elle-mêmes, en-dehors du discours qu’on pourrait leur faire tenir ou du récit qu’on leur imprimerait. Comme si cette vie-là, communiquée à d’autres corps, humains ceux-là, venait soudain irradier la nuit de l’abattoir.

 

Débordements.fr par Alice Leroy

Entretien avec la réalisatrice Maud Alpi

 Gorge Cœur Ventre est un film singulier qui, par certains aspects, peut se rapprocher du documentaire. Comment définissez-vous la nature de votre film ?

 

Moi je n’ai pas ce souci de définir la nature du film car je pense que les frontières sont très poreuses et c’est ça qui est intéressant. Après, quand j’ai tourné le film, pour la partie dans l’abattoir en tout cas, j’avais l’impression de tourner un documentaire fantastique mais c’est mon sentiment, je ne crois pas que ce soit une bonne définition pour le film.

 

Mais le choix de la fiction s’est-il rapidement imposé ou avez-vous pensé un moment à faire un documentaire ?

 

Non, la fiction allait de soi. Ne serait-ce que pour introduire ce personnage très jeune dans la bouverie et pour faire jouer les acteurs que je souhaitais faire jouer : Virgile [Hanrot – ndlr], son chien et Dimitri [Buchenet – ndlr].

 

Outre le casting, que vous a permis la fiction que n’aurait pas permis le documentaire ?

 

Eh bien la fiction permet de travailler tout ce qui est de l’ordre des émotions qui sont bridées, qui sont retenues et qui, au bout d’un moment, arrivent quand même à sortir de manière désordonnée. Tout ce rapport du personnage à ses émotions, toute la contagion émotionnelle qui passe des bêtes aux hommes, c’est rendu possible par la fiction. Et tout ce qui est de l’ordre du parcours de libération – même si ce n’en est pas du tout une, c’est une chute –, tout ce qui est de l’ordre du chien qui découvre ce monde infernal et qui s’enfuit, c’est vraiment un parcours complètement fictionnel, imaginaire, qui devient de plus en plus fantastique.

 

Comment s’est passé le tournage dans l’abattoir ? On imagine qu’il n’était pas forcément évident de s’insérer dans cette structure…  

 

Pour tout ce qui est du tournage dans la bouverie, on s’est vraiment inséré dans la chaîne. C’était un principe de ne jamais faire rejouer quoique ce soit aux bêtes qui arrivaient là, qui étaient terrorisées et qui allaient se faire tuer. On s’est vraiment immiscé là-dedans, c’est-à-dire que j’ai vécu pendant deux mois avant le tournage avec Virgile et Boston [le nom de son chien – ndlr] qui forment un couple dans la vie, on s’est préparé. Virgile a appris le métier de bouvier auprès du vrai bouvier de l’abattoir. Pendant le tournage, il travaillait à la fois dans l’abattoir, en remplaçant le bouvier, et à la fois pour le film quand on faisait des prises. Mais on était vraiment conditionné par la chaîne. Le rythme du tournage était dicté par l’abattage donc il arrivait que les gens de l’abattoir nous disent « allez allez, il faut envoyer ! ». On était sous pression et Virgile particulièrement. Mais c’est aussi ce que je cherchais : qu’il soit vraiment conditionné par l’expérience violente du lieu. On n’a donc jamais retourné une scène, on n’a jamais fait faire deux fois le couloir de la mort à une bête… c’était inenvisageable, c’était déjà assez dur d’être des témoins impuissants. Donc on tournait, on attendait que d’autres bêtes arrivent, puisqu’elles viennent par petites « grappes », entre la veille au soir et le matin à dix heures, et on tournait d’autres choses quand il n’y avait pas de bêtes dans la bouverie… on s’adaptait complètement.

Après, pour obtenir les autorisations pour tourner dans un abattoir ça a été un travail de préparation, de repérages que j’ai fait avec Baptiste [Boulba-Ghigna – ndlr] qui coécrit avec moi. C’est un travail qu’on a fait sur plusieurs films et c’est un moment très important pour moi, les repérages et la recherche d’un décor. C’est d’ailleurs beaucoup plus que ça : c’est la recherche de la matrice du film. On y a consacré beaucoup de temps, on a rencontré des directeurs d’abattoir. Dans l’abattoir où je pensais que c’était vraiment le plus intéressant de tourner, dont l’espace était le plus dramatique, je crois que le directeur a en partie compris ce qu’on voulait faire et il a accepté notre présence. Je pense qu’il a aussi accepté parce qu’on tournait une fiction et que ça laissait plus de distance. Un documentaire aurait désigné directement son lieu, ses méthodes de travail et aurait filmé ses ouvriers; là on était quand même dans un cadre de fiction où il y a des acteurs qui viennent travailler.

 

Avez-vous cherché un lieu qui offrait une représentation particulièrement violente de l’abattage ?

 

Au contraire, on est dans un petit abattoir local où beaucoup de bêtes sont amenées par les éleveurs. On a peu d’énormes convois qui ont traversé la France pour venir être abattus là, on n’est pas dans un abattoir hyper industriel. Mais je ne sais pas vraiment, je n’ai pas travaillé dans cet abattoir et pour pouvoir vous répondre il faudrait que j’aie pu observer pendant au moins un an la manière dont ça se passe. Mais ce qu’il m’intéressait de raconter c’était le fait de prendre la vie à quelqu’un qui veut la garder, qui tient à sa vie, qui a des amis, une communauté, une histoire… C’est cette violence basique qui m’intéressait, ce n’est pas les dérives qu’on peut observer. Les films militants travaillent souvent sur les dérives par rapport à la loi, pour avoir une approche politique. Ça ne m’intéressait pas de montrer des excès de cruauté, donc ce qu’on voit dans mon film est plutôt doux.

 

Le film est d’ailleurs également assez doux avec le personnage principal, qui ne demande finalement qu’à être aimé.

 

Je pense surtout qu’il aimerait être ailleurs (rires). Mais oui, le but n’était pas du tout, encore une fois, d’installer un personnage qui soi le bourreau sadique incarnant tous les excès… Ce personnage là est déjà dans Massacre à la tronçonneuse, il est formidable mais moi j’avais envie de me demander, au contraire, comment peut-il encore y avoir des miettes d’amour, de bonté… Qu’est-ce qui peut rester, là, de l’amour ? D’abord entre les bêtes mais aussi des hommes envers les bêtes. Il y a contagion dans le film : le personnage peut faire un temps comme si les bêtes n’étaient que des choses en ignorant ses émotions mais il est un être tellement vulnérable et tellement peu protégé, c’est quand même un vagabond qui vit seul avec son chien, qu’au bout d’un moment il est traversé, il est sous l’emprise des émotions des bêtes qu’il emmène à la mort. C’est cette hypothèse-là qui m’intéressait de travailler et c’est une hypothèse de fiction.

 

Malgré le rythme soutenu qui vous était dicté par le lieu, vous parvenez à livrer un travail très esthétique. Comment avez-vous travaillé l’image, très chaude, avec Jonathan Ricquebourg [directeur de la photo] dans ces conditions ?

 

Pour ce qui est de la chaleur, c’est quelque chose qu’on a décidé dès le début mais qui ne va pas non plus complètement à l’encontre de ce qu’on voit dans une bouverie. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, avec les bêtes – ces animaux vivants qui s’expriment et qui dégagent de la chaleur – c’est des endroits où il fait très chaud. Quand on se rapproche de la tuerie, au moment où on égorge les bêtes et où le sang s’écoule, c’est un endroit où il fait très chaud et où les hommes sont gagnés par cette chaleur. C’est notamment pour ça qu’ils y travaillent la nuit, parce qu’il fait encore frais. Cette chaleur, c’était donc une façon de sublimer la présence des bêtes, leur corps, leur pelage, leur vie, dans le métal et dans l’architecture très disciplinaire de la bouverie. C’était aussi une façon de raconter cette chaleur qui atteint les hommes sans l’expliquer ou le commenter.

 

Après, la manière dont on a travaillé : l’abattoir et la bouverie sont déjà des mises en scène, on y est très conditionné. Il n’y a pas que le rythme de la chaîne mais on est obligé de se conformer aux couloirs dans lesquels on évolue, tout est extrêmement compartimenté. Donc ça c’est une mise en scène qui préexiste à mon film et que j’accueille forcément. Moi, contre cette mise en scène et ce processus-là, je dois faire jouer un autre processus et c’est ça qu’on a mis en place en choisissant une caméra à l’épaule qui essaie le plus possible de faire le lien entre les humains, les non-humains et qui essaie de circuler avec la liberté que ce lieu tente de rendre impossible et qui essaie de relier les êtres que l’ordre de l’abattoir veut séparer. On a aussi choisi des focales assez courtes pour pouvoir être proche des animaux qu’on filmait et qui donnent un peu la sensation qu’on les caresse, qu’on les touche avec le regard.

 

À la lecture du synopsis, on pourrait s’attendre à un film très militant, très engagé dans l’antispécisme et finalement, si le film contient un discours, celui-ci passe essentiellement par l’image…

 

Les discours passent très bien dans les films militants, dans les articles… Je pense qu’ils n’ont vraiment pas besoin de moi pour passer. Moi, j’essaie de travailler à un niveau qui n’est pas celui des films militants qui, même s’ils peuvent beaucoup jouer sur les émotions et sur l’horreur, sont souvent assez cérébraux au sens où ils posent un problème et à la fin du film ils explicitent en général une solution, ils vous disent quoi faire, etc. Moi je voulais vraiment me situer à un niveau qui soit celui des sensations et des émotions, pas seulement parce que c’est un défi artistique ou parce que c’est fascinant esthétiquement mais parce que je voulais arriver à rapprocher le spectateur de ces bêtes alors que la domination qu’on exerce sur elles nous amène à les mépriser. J’ai une intention de déconditionner ou de reconditionner une vision trop distante afin qu’on en arrive à regarder tous les animaux du film, qu’ils soient humains, chiens ou bêtes de ferme comme une même communauté. Je travaille donc à un autre niveau que celui, très cérébral, du « message ». Après je sais que les gens sont surpris de vivre une expérience émotionnelle et sensorielle alors qu’ils s’attendaient à un film très militant.

 

Mais vous considérez-vous quand même comme ayant une philosophie antispéciste ?

 

Oui. Après, le film est ouvert aux interprétations et la fin est un espace qui est laissé au spectateur pour qu’il projette ses craintes, ses espoirs et qu’il puisse repartir de ce qu’il vient de voir en faisant le vide et en essayant de repenser les choses autrement, mais il n’y a pas une clé qui est donnée. Encore une fois, je pense que les messages antispécistes très clairs sont beaucoup plus efficacement transmis dans un film de dix minutes que dans mon film, on ne travaille pas du tout au même niveau. Mais personnellement je suis quelqu’un qui ne mange pas les animaux et qui aimerait bien que le spécisme, comme d’autres dominations et inégalités dans le monde, puisse cesser un jour.

 

Vos études de philosophie ont-elles joué un rôle dans votre approche du sujet et plus généralement dans votre venue au cinéma ?

 

Disons que les études de philo ça m’a intéressé à un niveau assez général, tant que c’était assez littéraire et poétique. Dès que je suis entrée à Normale sup., le côté « philo scientifique » qui souhaite être une discipline à part entière et qui ne se laisse plus traverser par les autres domaines, ça m’intéressait beaucoup moins. Donc je crois que ça m’a intéressé comme un dialogue avec le cinéma, la photographie, la poésie, les sciences sociales… Au départ, ce qui m’a intéressée dans la philo c’était les Lectures de Michel Foucault. Donc c’est pas encore l’orthodoxie. Mais pour répondre à votre question, le cinéma vient de plus loin. Je voulais faire du cinéma depuis que j’étais enfant, sans savoir comment faire et sans être sûre de parvenir à m’exprimer par ce moyen-là. Ce désir venait de deux choses : du sentiment que le cinéma était un moyen d’avoir accès au monde. Moi qui vivais dans des endroits assez isolés, le cinéma était une porte sur le monde. Et l’autre chose c’est que j’ai toujours eu l’impression qu’au cinéma les choses existaient plus fortement, de façon plus essentielle. Comme si le cinéma permettait de saisir une essence, une présence très forte des êtres et des choses. Donc ça ne m’étonne pas d’avoir fait des études de philo si c’était ça qui m’intéressait dans le cinéma.

 

D’autres lectures marquantes qui ont compté dans votre parcours jusqu’à Gorge Cœur Ventre ?

 

Simak Demain les chiensCe n’est pas un philosophe mais Isaac Bashevis Singer m’a beaucoup beaucoup accompagnée. Notamment son récit autobiographique qui revient sur son enfance, Un jeune homme à la recherche de l’amour, où il raconte comment il a vécu dans une famille très religieuse et dans lequel il essaie de comprendre comment c’est possible qu’un dieu existe dans un monde aussi violent et aussi meurtrier et où il finit par conclure que si un dieu existe, il doit être mauvais et que le devoir de l’homme est de protester contre lui. Demain les chiens m’a accompagnée aussi, le livre de science-fiction de Clifford D. Simak.

Mais que ce soit dans mon rapport aux animaux ou à l’animalité, je n’avais pas besoin de m’appuyer sur des lectures. C’est vraiment des images préexistantes qui m’ont attirée là où je suis allée.

 

En parlant d’images fortes, on pense forcément à Stalker de Tarkovski devant certaines séquences de votre film. Quelle portée symbolique conférez-vous au(x) chien(s) ?

 

Pour moi, le chien profite de son pouvoir qui est, je l’espère, le pouvoir de tous les chiens et qu’on leur a prêté depuis très longtemps : celui de pouvoir passer des portes, de pouvoir passer dans d’autres mondes, que ce soit le passage en enfer ou dans d’autres espaces-temps, dans la science-fiction. Donc pour moi le chien passe dans un autre espace-temps. Après, les spectateurs sont libres de dire que c’est un futur plus ou moins proche, que c’est un espace-temps parallèle où l’abattoir serait ravagé et où les chiens pourraient rêver à autre chose. D’autres spectateurs y voient un monde apocalyptique où les hommes se seraient autodétruits et où les chiens reprendraient le flambeau. Mais comme je le disais tout à l’heure, c’est un espace où le film fait le vide pour laisser le spectateur projeter ses réflexions, ses désirs… Je sais qu’il y a beaucoup d’éléments symboliques dans ces séquences mais j’ai l’impression que, comme tous les symboles, c’est assez ouvert pour qu’on puisse fabriquer soi-même la suite…

 

Et pour l’avenir, de nouveaux projets ?

 

J’ai un projet en début d’écriture oui…

 

Avec une portée fantastique ?

 

Avec un désir de travailler, d’avantage que dans Gorge Cœur Ventre, une dimension hallucinatoire, liée à la course.

 

Entretien avec Maud Alpi

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