Fronteras

de Mikel Rueda

Synopsis

Rafa est un adolescent espagnol de 14 ans presque comme les autres : il va au lycée, traine avec ses amis, sort en boite… Ibrahim, lui, a une vie légèrement plus compliquée. Marocain, il est illégal sur le territoire et vient d’apprendre qu’il sera expulsé dans quelques jours. Leur rencontre, un soir dans un club, va changer leur destin. Rafa va tout faire pour aider Ibrahim à rester en Espagne.

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Critiques

 

Modeste production espagnole, Fronteras croise avec une belle simplicité deux problématiques sociétales qui n’ont a priori pas grand-chose à voir ensemble : l’immigration clandestine et l’amour homosexuel. Sauf que le réalisateur Mikel Rueda a choisi pour aborder cette question de la double acceptation de circonscrire ces enjeux protéiformes à la sphère intime, celle de deux adolescents que rien ne prédestinait à se rencontrer et à vivre une passion amoureuse. Rafa, quatorze ans, est un garçon plutôt populaire qui ne cherche en aucun cas à se distinguer de la masse : il va au lycée, sort avec ses copains, fricote avec les plus jolies filles de son école. Sauf que toute cette vie bien réglée ne semble pas lui correspondre : fuyant lorsqu’une prétendante se fait un peu trop pressante, secret lorsque son meilleur ami le questionne, Rafa attend manifestement que quelque chose le révèle à lui-même. C’est ce rôle de déclencheur qu’endosse Ibrahim, un autre adolescent qui ne connaît pas le bonheur de la parfaite assimilation : Marocain fraîchement immigré, cherchant par tous les moyens à s’intégrer, le jeune homme apprend qu’il est sous le coup d’une expulsion qui le renvoie à la case départ. Rafa, se découvrant pour Ibrahim des sentiments d’une force insoupçonnée, va devenir son principal allié pour tenter de l’aider à se soustraire à cette obligation.

 

Du politique et des sentiments

 

Si l’argument de Fronteras tient de la précarité à laquelle est condamné cet amour entre les deux adolescents, ce n’est pas la question de l’immigration et l’enjeu politique qui en découle qui constituent la force principale du film. Enfonçant quelques portes ouvertes autour du racisme supposé des Espagnols et réduisant la question de l’intégration à une succession de scènes attendues et assez linéaires dans leur appréhension des enjeux (les cours d’espagnol, l’annonce de l’expulsion, l’organisation d’une vie clandestine, etc.), le film de Mikel Rueda donne parfois l’impression d’avoir choisi cet arrière-plan comme prétexte à conter une histoire d’amour contrariée. Pourtant, il est difficile de taxer la démarche d’opportuniste tant le réalisateur s’échine à dépeindre avec une belle palette de couleurs cette prise de conscience amoureuse. Certes l’empathie que Rafa se découvre pour les problèmes d’Ibrahim découle directement des sentiments qu’il éprouve pour lui, néanmoins c’est par l’entrée en jeu de cet affect inédit que l’adolescent remet en question sa place parmi les autres. Cet éveil est illustré par bon nombre de scènes nocturnes où se font et se défont les nœuds scénaristiques, comme si la valeur des liens qui unissent les personnages ne pouvait trouver un terreau fertile que dans les interstices sous-exposés du film. Alors que la menace de l’anecdotique pesait lourdement sur lui, Fronteras s’en tire à bon compte en s’attardant sur les détails et les nuances, trouvant sa modeste cohérence dans cette sentimentalité pleinement assumée.

 

Critikat par Clément Graminiès

 

 

 

Magnifique itération d’un cinéma social à la La Belle Jeunesse, de Jaime Rosales, Fronteras dépeint le portrait contemporain d’une jeunesse espagnole, irrévocablement blanche de peau, malgré les brûlures du soleil qui hâlent sa réalité ardente. Souvent perçue comme une terre d’accueil pour les fêtards en quête de trips noctambules, à Barcelone comme à Madrid, la contrée ibérique panse surtout les plaies d’un demi-siècle de dictature et d’une crise économique sans précédent qui a poussé des milliers de (jeunes) locaux à l’exil… La conclusion de La Belle Jeunesse était dans ce sens glaçante quant au modèle d’intégration espagnole de sa propre jeunesse.

 

 

Le cinéaste Mikel Rueda, avec une perspicacité de documentariste qu’il n’est pourtant pas, met en scène cette jeunesse, moins désœuvrée que pleine de bon sens quant à sa situation immédiate. A ce folklore un peu triste d’une jeunesse paumée, il tisse des liens complexes avec les apatrides du Maroc qui ont renoncé à leur pays pour irriguer la pluralité d’une Europe statistiquement rajeunie par les nouveaux flux migratoires. De jeunes populations, dans les deux cas, errantes, qui vivent en parallèle sans vraiment se côtoyer, fragilisant la nouvelle réalité d’une Espagne qui deviendrait terre d’accueil.

 

 

Le jeune cinéaste de 36 ans se défausse des idées reçues pour marquer de son point de vue intrinsèquement social, la réalité d’une péninsule à deux vitesses et aux deux visages, entre accueil et rejet. La thématique homosexuelle vient enrichir considérablement la réflexion humaine, se soustrayant à l’alibi communautaire pour une démarche paradoxalement plus universelle.

Dans l’adversité, ces jeunes de cultures si opposées savent aussi se trouver et s’aimer, plutôt que de désigner l’autre de son mépris. Loin des débats sur l’affiliation systématique d’une jeunesse musulmane aux idées djihadistes, le réalisateur met en scène la complexité de la société, quand elle est vécue par le rationnel de l’adolescent, dans le besoin vital de construction de ses repères affectifs, amicaux ou familiaux.

Avec une aisance qui force le respect, Rueda évite les pièges de l’impudeur quand à cet âge les jeunes marquent tant de réserve. Il met en scène avec sensibilité leur incapacité à communiquer l’essentiel, sans tomber dans le piège standard de la romance avortée. Plutôt prolixe dans les idées, y compris en arrière-plan, le cinéaste ne déséquilibre pas ses intentions.

 

 

L’auteur fait de Rafa, jeune homme du terroir « pure souche », et d’Ibrahim, Marocain sans papiers et sans famille, que le jeune Espagnol aime secrètement, des acteurs de leurs propres destinées. Tout, pourtant, aurait tendance à les réduire au statut de spectateurs, contraints par le regard des autres et par les décisions, notamment administratives, des grandes personnes , qui leur échappent. Dans ce tour de force, le réalisateur n’a pas raté l’essentiel, caster deux acteurs non-professionnels à la fraîcheur libérée qui éclatent les clichés pour soutenir cette impression succulente de ciné-réalité. Mikel Rueda est une révélation.

 

A-voir,a-lire par Frédéric Mignard

Entretien avec Mikel Rueda

L’origine du film…

C’est un film qui me tenait à cœur. Je l’ai fait avec mes tripes. Il n’est pas autobiographique mais il est en lien avec des sensations que j’ai eues pendant mon adolescence, comme celle de ne pas être la personne que les autres voulaient que je sois; celle d’être perdu et surtout de ne pas être là où je voulais être physiquement et émotionnellement.

Je voulais raconter une histoire avec ces caractéristiques parce que même si la cinématographie espagnole a traité de l’homosexualité, je pense qu’il y a une absence de références positives pour les histoires d'amours entre les personnes du même genre… Je me suis dit qu’il était nécessaire d’écrire cette histoire entre adolescents avec des référents positifs. J’aurais aimé que ces référents soient là plus tôt parce qu’ils ouvrent l’éventail des possibilités, de ce qu’il y a et de ce que l’on peut ressentir. Dans tous les cas, les apports du cinéma peuvent permettrent à la société d'aller là où elle le veut.

 

 

Le choix de mettre en scène le thème de l’amour et le thème de l’immigration ? 

Je crois que ce sont des réalités qui vont de pair. Elles sont parallèles et liées au concept de l’altérité, autrui, l’étranger ; celui qui n’est pas dans les normes. Cette norme nous a fait croire qu’il existait ce qui est normal et ce qui ne l’est pas. Alors qu’en fait rien n’est normal. Celui qui subit cette norme réagit en se défendant, en attaquant ou en repoussant, comme pour l’homosexualité et l’immigration. Quand un jeune ne sait pas bien ce qu'il veut ni qui il est, les autres le repoussent, même si ces deux réalités sont supposément acceptées, et ce mot est affreux car personne n’a besoin de l’acceptation des autres pour avoir le droit de vivre. En réalité, on autorise la présence de la différence seulement si elle ne fait pas trop de bruit. Il existe donc une double morale. Il y a des droits et des cadres légaux pour l’homosexualité, l’hétérosexualité et les migrants mais en réalité, cela ne se passe pas ainsi. On essaie de les écarter, de les mettre à part, qu’ils se taisent. Alors j’ai trouvé intéressant de réunir ces deux réalités parce qu’elles se ressemblent.

 

Pourquoi l’immigration marocaine ?

L’immigration marocaine m’intéressait parce que la plupart de l’immigration en Espagne est roumaine ou maghrébine. Le thème des mineurs non accompagnés m’intéressait tout particulièrement. Il s’agit d’enfants âgés de 9 à 12 ans qui traversent le détroit et arrivent en Espagne sans aucun tuteur légal, l’état doit les prendre en charge mais les enfants terminent souvent dans la rue. Il se crée un problème là où il n’y en avait pas. Ce point de vue est intéressant à utiliser pour le récit.

 

Germán et Adil ?

Il est possible d’avoir un bon scénario, une bonne photographie, des plans bien choisis mais si les acteurs ne transmettent pas cette vérité d’une histoire tellement émotionnelle, rien ne peut être crédible. J’ai donc convaincu le producteur de nous laisser du temps pour trouver les deux jeunes. Nous avons rencontré 5000 jeunes lycéens dans toute l’Espagne car les acteurs de 14, 15 ou 16 ans n’existent pas. Je n’étais pas intéressé par les deux ou trois acteurs renommés, je ne voulais pas qu’ils soient si reconnaissables. C’est après une année de recherche que nous avons trouvé le groupe d’amis en question, puis Germán et Adil. Le travail avec des « non-acteurs » est très différent du travail avec des acteurs professionnels: la manière de faire, de les approcher, le jeu et l’improvisation. Il fallait être très ouvert à ce qu’ils pouvaient apporter aux personnages et leur laisser une marge de liberté. Pendant le tournage, il fallait être attentif à tout ce qui pouvait surgir et subordonner la technique à l’interprétation et non inversement, ce qui est plus courant. En général, on place d’abord les projecteurs et la caméra sauf pour ce tournage. Ils faisaient la scène et nous devions essayer de les suivre pour capter cette vérité qui n’arrive qu’une fois.

 

Pourquoi veux-tu montrer la vérité ?

Je crois que c’est la seule manière de crever l’écran. Le cinéma est une interlocution entre un locuteur, nous, qui émettons un message, une sensation ou une émotion, et un récepteur qui reçoit ou qui ne reçoit pas. Donc si on travaille depuis le mensonge, cela ne marche pas. C’est très important que ces émotions à transmettre soient réelles. Et pour moi il est très important que l’interprétation soit vraie. Germán et Adil font que tout ce qui se déroule soit vrai. Ce ne sont pas des acteurs professionnels donc ils n’ont pas encore la technique pour pouvoir falsifier la vérité. Il y a des acteurs qui le font très bien mais eux ne sont pas des acteurs alors quand ils pleurent, ils pleurent pour de vrai, quand ils sourient, ils sourient pour de vrai. Toutes ces sensations sont réelles et sont captées par la caméra sur l’instant. Si on leur dit de les répéter, cela ne va pas fonctionner parce qu’ils annuleraient ce qu’ils ont vécu. Alors il est nécessaire de les attraper là où ils se trouvent, dans la vérité.

 

Le montage est bien singulier... 

L’idée du montage était déjà présent dans le scénario. Pour moi, Fronteras devait être un voyage de deux personnages perdus qui, à un moment de leur vie, croiseraient d’autres personnages qui les aideraient sur ce chemin de la connaissance et affirmation de soi. Je voulais que ce voyage soit aussi ressenti par le spectateur. C’est pour cela qu’au début du film, l’histoire fait des bonds, les personnages sont d’abord ensemble, puis séparés, l’histoire va en avant puis en arrière. Au fur et à mesure que les personnages sont à l’aise avec ce qu’ils ressentent, l’histoire gagne en linéarité et le puzzle des images commence à fonctionner et à faire sens. C’est ce qui se passe avec les sentiments, on ne les comprend pas sur le moment, on les ressent et ils deviennent plus clairs. On ressent puis on rationalise. Je voulais que le montage ressemble à cette dynamique. Je voulais que le spectateur puisse se rendre compte de ce puzzle émotionnel.

 

Comment as-tu élaboré la bande-son ?

J’ai cherché pendant deux ans les morceaux pour l’accompagnement sonore. Je ne voulais pas de bande-son composée, je voulais des groupes indépendants. Il y a un auteur-compositeur catalan (Pau Vallvé), un groupe basque (Belako), les autres sont des groupes américains. Je voulais que chaque séquence importante ait une atmosphère non seulement visuelle, mais aussi musicale, qui accompagnerait et envelopperait la situation. Cela a été très difficile parce que je voulais vraiment soigner cette partie de la réalisation.

 

Quels sont tes projets ?

Aujourd’hui même, un de mes courts-métrages est présenté au Festival de San Sebastián. Il est en compétition avec les long-métrages, c’est la première fois que cette configuration se présente. Il s’intitule Caminan [Ils marchent] : c’est aussi une sorte de bande-annonce du film que je vais tourner l’année prochaine. Il sera interprété par Germán Alcarazu y Maribel Verdú. J’ai tourné un faux documentaire à New York qui se projettera aussi en compétition à San Sebastián en septembre. J’ai également un autre scénario de film que je prépare pour dans quelques années. Les projets sont bien là, nous avons surtout besoin de financement. Nous espérons que le passage de mes films à San Sebastián puisse attirer les fonds nécessaires au tournage qui devrait débuter l’année prochaine.

 

Caminan fait partie d’un projet plus large ?

Le court-métrage fait partie d’un film plus grand [Bilbao-Bizkaia. Exterior día.] qui réunit huit réalisateurs de Bilbao de différentes générations : Pedro Olea, Luis Marías, Imanol Urribe... [Alaitz Arenzana, María Ibarrexte, Javier Rebollo, Enrique Urbizu]. Seule condition : raconter une histoire réelle se déroulant à Bilbao. Je me suis dit que j’allais utiliser une séquence du film que je prépare pour voir si tout fonctionnait, les acteurs, la texture, les couleurs. Caminan m’a servi d’essai en tant que court-métrage et en tant que projet de film.

 

L’union des cinéastes permet-elle une amélioration de l’industrie cinématographique ? 

Travailler ensemble permet de rendre la situation plus supportable. Tout est compliqué en Espagne et toutes les initiatives qui participent à l’amélioration de la situation culturelle sont les bienvenues. Alors quand on m’a demandé de faire partie de ce projet à Bilbao, je me suis dit que c’était une belle opportunité de pouvoir faire ce que je voulais en toute liberté aux côtés de réalisateurs de la taille d’Imanol Uribe ou d’Enrique Urbizu qui sont des références de longue date. C’est un vrai plaisir de faire partie de cette réalisation.

 

cinespagne.com

Le réalisateur Mikel Rueda et les comédiens German Alcarazu et Adil Koukouh (de gauche à droite sur la photo).

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