Les Chansons que mes frères m’ont apprises

Synopsis

Johnny vient de terminer ses études et s'apprête à quitter la réserve indienne de Pine Ridge avec sa petite amie, pour chercher du travail à Los Angeles. La disparition soudaine de son père vient bousculer ses projets. Il éprouve également des remords à laisser Jashaun sa petite soeur de 13 ans dont il est très proche. Johnny partira-t-il ?

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LES CHANSONS QUE MES FRERES M ONT APPRIS
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Critiques

Dans une réserve indienne, les derniers feux de l’adolescence en quête d’ailleurs.


La scène, assez belle et déroutante, pourrait paraître entendue, nous parvenir exténuée pour avoir été déjà tant rebattue par d’autres itinéraires d’apprentissages portés à l’écran dans toute leur tendreté, entre premiers émois gourds et horizon de bal de promo, sous l’œil de jeunes réalisateurs souvent eux-mêmes encore à leurs débuts plus ou moins frémissants. Elle se déroule précisément aux heures terminales de l’année scolaire qui agonise, dans une salle de classe bohème du Dakota du Sud où les élèves, assis en ordre éparpillé, manipulent négligemment diverses bestioles - vivantes.


Rodéo.

Quand le professeur interpelle les lycéens tour à tour au sujet du devenir qu’ils se rêvent par-delà le lycée, l’essentiel des réponses se confondent et se ressemblent, sans que jamais ne se présente le nom d’une université. Tels uns, dont la caméra fixe avec douceur le visage buté et les doigts empêtrés dans les anneaux d’un serpent, rêvent à l’acquisition d’un ranch. La plupart des autres, qui jouent avec une grosse araignée, se verraient bien monteurs de rodéo. Le prof ne fait guère mine de s’en accabler, tant ici, dans la réserve sioux de Pine Ridge, les vocations engageantes offertes aux jeunes gens se circonscrivent peu ou prou à celles-ci.


Premier long métrage de Chloé Zhao, déjà remarqué à Sundance, les Chansons que mes frères m’ont apprises, décrit, d’un trait très sensible et cadencé au flottement de ces jours finissants, les ultimes pas chargés de désillusions d’un jeune garçon dans la vie adolescente. Ce dernier, Johnny, voudrait se projeter un peu plus loin que les autres : déterminé à suivre son amoureuse à Los Angeles, il ourdit son échappée à ce déterminisme en amassant un pécule glané au gré de ses petits trafics de bootlegger - la réserve, en proie à un alcoolisme endémique, prohibe la boisson. Pour l’heure, il vit seul avec sa mère, une petite sœur, l’absence d’un grand frère taulard et la mort récente de son père. Un deuil dont l’impact semble se diluer dans l’abondance et le caractère disséminé de sa descendance - vingt-cinq enfants d’une dizaine d’assimilées épouses.


Autour de lui, le film brosse un portrait au pointillisme aimant d’une demi-douzaine de figures de la communauté, qui tient lieu de précipité des déterminismes souvent cruels promis à ses membres. Le singulier amalgame de misère, de signes pop contemporains (belle séquence de free party punk masquée), de christianisme fervent et de substrat culturel amérindien nourrit le trouble spatio-temporel qui enlace cette ode aux paysages désertiques des Badlands et leur horizon ingrat de calamité. Surtout, il décrit joliment combien le fait que tous ceux qui composent la réserve soient plus ou moins apparentés par le sang (et le confinement corseté que cela suggère) appelle une recomposition des liens, une invention de soi au travers d’une famille choisie.


Aventureux.

Si l’on guette le plus souvent ces transferts d’affects et les déconvenues de Johnny via le regard de sa petite sœur, on ne pourra soupçonner la réalisatrice de nous livrer ici l’autofiction de ses jeunes années. Celle-ci est en effet née à Pékin, où elle vécut jusqu’à ses 14 ans, avant de voyager beaucoup, puis d’étudier le cinéma et les sciences politiques aux Etats-Unis. Elle a choisi de filmer les gens de Pine Ridge au terme de quatre ans d’immersion dans la réserve, sous le régime d’un scénario à peine esquissé et d’une quasi-improvisation.


Dans l’économie des propositions d’un festival où abondent les œuvres frappées du sceau d’un nombrilisme aigu - pour le meilleur parfois (Garrel, Desplechin), le pire souvent -, ce caractère aventureux participe au charme d’un film par ailleurs très attachant par le détachement ouaté avec lequel il louvoie entre les immuables codes de la fiction d’initiation américaine.


Libération par Julien Gester

Entretien avec la réalisatrice

En compétition à Deauville avec “Les Chansons que mes frères m'ont apprises”, balade mélancolique dans une réserve indienne du Dakota (en salles mercredi 9 septembre), Chloé Zhao, née en Chine et installée à New York depuis dix ans, observe avec un regard critique le cinéma indépendant américain.


Vous êtes née à Pékin et vous avez tourné Les Chansons que mes frères m'ont apprises dans un réserve indienne du Dakota. Qu'est-ce qui vous a guidée jusque là ?


Je me suis toujours intéressée aux histoires de gens marginalisés dans la société. Je viens de Pékin mais j'ai beaucoup voyagé et je n'ai jamais vécu longtemps au même endroit, je n'ai de racines nulle part. Quand je suis allée au Dakota et que j'ai découvert la réserve de Pine Ridge, je me suis retrouvée comme au fond d'un lac : c'est un monde où rien ne bouge, rien ne change. Même si la culture des Indiens a été en partie détruite par les Etats-Unis, les choses restent semblables à ce qu'elles ont toujours été et les Indiens qui vivent là sont vraiment enracinés. Pour moi qui vient de Chine, où tout change, où tout est sans cesse modernisé, cet endroit était fascinant.


Vous en montrez aussi des aspects très sombres. Il s'agit pour vous de tirer un signal d'alarme sur les conditions de vie de ces Indiens ?


J'ai étudié les sciences politiques et la politique américaine quand je suis arrivée aux Etats-Unis, je connais donc assez bien l'histoire des Indiens. Mais je n'ai pas voulu faire une démonstration. Ce que je tenais à montrer, c'est une jeunesse livrée à elle-même dans cette réserve où l'espérance de vie est si basse, autour de 45 ans, que la moitié de la population a moins de vingt ans. Il y a de bons parents parmi les adultes, mais il y a aussi beaucoup d'orphelins et les jeunes prennent donc soin les uns des autres. Le suicide parmi eux est malheureusement dévastateur.


Et le danger le plus grand, c'est le diabète, qui tue les gens. Ils mangent essentiellement de la nourriture en boîtes de conserve que leur donne l'Etat américain. Il y a donc quantité de problèmes et il n'était pas possible pour moi de les aborder tous dans le cadre d'une fiction. Il n'y a de toute façon pas de solution à court terme. Michelle Obama elle-même l'a dit récemment : il ne s'agit plus seulement de donner des aides financières et alimentaires aux Indiens, mais de reconstruire leur nation. Et cela prendra du temps.


En tournant dans cette réserve, quel était l'avantage que la fiction vous donnait ?


Il y a eu beaucoup de reportages sur cette réserve. Et beaucoup de mauvais reportages. Tous les chiffres terribles sur l'économie et la santé des Indiens de Pine Ridge ont attiré les télévisions, qui viennent voir ce qui est, en quelque sorte, le « Ground Zero » de la société américaine, l'endroit où les conditions de vie sont les pires de tout le pays. Les journalistes débarquent avec leur liste de problèmes à illustrer : l'alcoolisme, le suicide, la maladie, le chômage...


Et les Indiens sont tellement habitués à ces reportages qu'ils savent comment donner aux journalistes exactement ce qu'ils veulent. Et rien d'autre. Tout est ainsi réduit à un cliché et à un show. Je voulais aller au-delà de ces réflexes, avoir accès à une réalité plus profonde. Pour cela, la fiction était utile, elle cassait les habitudes et ouvrait une autre forme d'expression. Les gens de la réserve étaient très contents quand je leur parlais d'une fiction. Ils pouvaient y mettre leur vérité sans avoir l'impression de devenir des phénomènes de curiosité.


Télérama par  Frédéric Strauss

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