La Tribu des fourmis

Critique

Comme tant d’autres Chinois ayant rejoint la capitale Pékin pour tenter de réaliser leurs rêves, Yang Huilong a fait partie de la « tribu des fourmis » : c’est ainsi que les médias surnomment la foule des jeunes étudiants, parfois surdiplômés, qui vivotent dans des villages-dortoirs insalubres en banlieue de la capitale, passant d’un petit boulot à l’autre en attendant la rare opportunité d’une carrière. A force de débrouillardise (et d’emprunts), Yang Huilong est parvenu à son but : un premier long-métrage, qu’il a choisi de consacrer aux « fourmis » qui n’ont jamais réussi, ou pas encore, à s’évader de la tribu.

Son film aurait pu être un documentaire. Il y ressemble, par l’impression qu’il donne de se construire dans les pas de ses personnages, par la sobriété de ses effets, l’impression de naturel qu’il dégage. On s’y tromperait presque, tant il est difficile d’établir la frontière avec la fiction. Peut-être tient-elle à cette grande douceur, assez déconcertante dans le contexte, qui baigne le parcours des trois protagonistes, un jeune couple, Jie et Ran Ran, et leur ami Wang.


Un regard protecteur

Unis dans la galère, ils ne cèdent à la colère qu’exceptionnellement, et encore leur faut-il l’aide de l’alcool. Au milieu des murs craquelés, au son sans âme des haut-parleurs qui ordonnent l’évacuation des lieux, la patience des fourmis est trop belle pour sembler vraie. Elle permet à Wang et à Jie de poursuivre un autre rêve que le leur, lorsqu’ils ont perdu tout espoir pour eux-mêmes : polis, mais têtus, ils parcourent la ville en portant sur un mannequin de couture la robe réalisée par Ran Ran, tentant de forcer à sa place la porte des grands noms de la mode auprès desquels elle rêve de construire sa carrière de styliste. Elle-même ne semble pas y croire. Elle n’essaie pas, ou plus, de provoquer un destin improbable. Sa patience n’a pour objet que la robe même, trésor de minutie qu’elle semble ne perfectionner, le soir, que pour le plaisir de l’enfiler et de danser, fière comme une petite fille au carnaval.

Il y a quelque chose d’émouvant à observer leurs étonnantes réserves d’entêtement. Pas trop distante, jamais voyeuse, la caméra paraît les envelopper d’un regard protecteur, de même que la fiction, si discrète, semble protéger ses héros presque vrais du réel (et de l’œil de la censure). Mais la situation dépeinte est suffisamment inquiétante pour pouvoir le rester en dépit du chant d’espoir de Yang Huilong, ex-fourmi récompensée pour sa patience, à laquelle on ne saurait reprocher de vouloir maintenir les portes du rêve ouvertes pour les fourmis encore prisonnières.

Le Monde / par Noémie Luciani

Autobiographie ?

Il s'agit du premier film de Huilong Yang qui a lui-même vécu, dans sa jeunesse, au sein d'un quartier de ce genre et qui a souhaité créer une oeuvre qui raconte la vie de plusieurs centaines de milliers de jeunes qui se trouvent aujourd'hui dans la même situation que lui auparavant.

Poursuivre ses rêves

L'autre enjeu du film était de présenter le portrait d'une jeunesse pleine de rêves et qui se bat pour les réaliser comme Huilong Yang en témoigne : "Beaucoup de jeunes chinois habitant en banlieue des mégapoles sont aujourd’hui dans la même situation que les héros du film : cultivés, diplômés, sans beaucoup d’espoir de progrès social. Le film est la représentation de la situation réelle de la jeune génération chinoise. Avoir des rêves c’est garder l’espoir d’une vie qui évolue. A Beijing, il y a des jeunes venus de partout pour conquérir leurs rêves ! Bien sûr, il y a des laissés pour compte... Se réaliser soi-même tout en servant la société selon sa capacité, c’est ainsi que le monde peut s’améliorer petit à petit. Le rêve d’une vie meilleure pour cette génération est avant tout de pouvoir choisir sa façon de vivre, sans trop de pressions, et atteindre un objectif pas trop irréaliste, en fonction de ses capacités."

Un film primé à Tokyo

La tribu des fourmis a remporté le prix du futur meilleur film asiatique au 26e Festival International du film de Tokyo.

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