La mort de Louis XIV

de Albert Serra

Synopsis

Août 1715. À son retour de promenade, Louis XIV ressent une vive douleur à la jambe. Les jours suivants, le Roi poursuit ses obligations mais ses nuits sont agitées, la fièvre le gagne. Il se nourrit peu et s'affaiblit de plus en plus. C’est le début de la lente agonie du plus grand roi de France...

Critiques

Ainsi, si La Mort de Louis XIV met en scène quatre corps, le film lui-même semble avoir deux corps qui fusionnent : celui du didactisme historique sur les derniers jours de Louis XIV, et celui de la sacralisation symbolique et de l'hommage en acte à l'acteur qui nous est cher. Si La Mort de Louis XIV nous instruit, c'est bien le spectre de la mort de Léaud hantant ce film qui nous bouleverse.

Les Inrockuptibles

 

Tout est fait pour donner corps, texture et matière à la mort. Et tout est fait pour inciter à vivre : rarement mets et vins auront paru aussi succulents.

Télérama

 

 

Splendide dans sa royale agonie, Jean-Pierre Léaud donne chair et corps au film du réalisateur catalan Albert Serra dans un clair-obscur où se mêlent magie et médecine.

 

Celui qui voudrait dire un mot de la Mort de Louis XIV d’Albert Serra se trouverait placé dans une position que le film précisément ne cesse de décrire. Cette Mort ne nous invite en nul autre lieu qu’à son chevet. C’est une position elle-même dédoublée, divisée : celle du médecin qui scrute sur le corps du roi les signes d’une agonie indéchiffrable, et celle du valet qui cherche à en soulager les plaintes. Le film veille le roi et le spectateur veille le film, dans l’attente grave de la mort annoncée. Tout un jeu de regards se construit là, et rien d’autre que ce jeu, saturant l’espace clos de la chambre et celui de la salle - autour du lit central où un corps nous regarde, impressionnant.

 

Rarement un film se sera à ce point décrit lui-même, nous désignant et nous assignant une place qui trouve en lui (en son cœur) à la fois son origine et sa fin, sa source et sa destination : rarement un film aura été aussi royal dans son dispositif et aussi mortuaire dans ses intonations. C’est que nous invitant à son chevet, il veut nous inviter au chevet du cinéma lui-même. Un ami en sortant du film nous disait : «Peut-être le cinéma est-il maintenant assez vieux pour filmer ça, quelque chose de la vieillesse et de la mort à l’état pur.» Grand film mourant pour agonie interminable. Peut-être que oui.

 

Cette impression a beaucoup à voir avec le corps que le film place en son centre : Jean-Pierre Léaud (lire ci-contre), l’acteur-limite, sur la chair duquel se projette à présent tout un pan d’une histoire du cinéma, et par extension toute cette histoire elle-même. Chaque marque sur sa chair semble venir d’une des strates d’un temps sacré, où la vie et le cinéma se confondent - depuis l’enfance, les Quatre Cents Coups - dans une analogie absolue avec l’existence de Louis XIV, enfant-roi, vieillard sublime, sa longue vie fusionnée à l’Etat et à l’histoire. Le «Sire» et la cire s’y fondent en une seule fascinante statue.

 

Théâtre de la lucidité

On pourrait ne dire que cela du film, clamer la splendeur déchue des majuscules, et les métaphores fileraient : film décadent sur une décadence (au choix, de l’époque ou de l’art), la maladie comme métaphore, et la mort comme néant. Les médecins et valets impuissants porteraient haut le deuil, et diraient pour finir : le cinéma est mort, vive le cinéma. Mais Fagon (Patrick d’Assumçao), le médecin du roi, dit autre chose, dans le dernier plan du film, nous renvoyant notre regard par-dessus la panse ouverte du roi mort : «Messieurs, nous ferons mieux la prochaine fois.»

 

La Mort de Louis XIV fait autre chose que de s’arrêter au sublime, que de s’en tenir à un seuil qui serait de l’invisible ou de l’indicible : il va jusqu’à l’autopsie et, au-delà, jusqu’à la froideur. C’est son matérialisme morbide. La demi-pénombre de la chambre déploie, en fait, un théâtre de la lucidité. «La nuit vivante se dissipe à la clarté de la mort» : Michel Foucault condensait par cette formule une des naissances de la clinique, où le regard médical sur les corps morts éclaire les zones d’ombre de leur vie - prise pour objet et rendue visible. C’est aussi une bonne formule de la lumière dans la Mort de Louis XIV. L’extrême picturalité des plans, ce clair-obscur aggravé, ne nous montre pas des lueurs de vie cernées par les ténèbres de la mort, mais l’inverse : un centre rayonnant de mort, le visage souverain de Léaud à la tête du lit, entouré de tous ces vivants marchant dans l’obscurité.

 

 

La mort est d’abord une grande mise en scène : où le roi met en scène sa propre mort, où la mort se met en scène elle-même, exposant à l’attention de tous son indiscutable clarté. L’idée, un jour géniale et devenue pur cliché, qui veut que le cinéma filme la mort au travail ne peut se comprendre que retournée : le cinéma comme travail de la mort, ou comme point de vue de la mort (regard clair) sur la vie (sombre objet). Donc, soit le cinéma comme médecine, soit le cinéma comme maladie.

 

Parasite ou fantôme

La Mort de Louis XIV est le lieu d’un éloge intempestif du charlatanisme en la personne du Sieur Le Brun, médecin de Marseille aux remèdes de sorcier et aux théories cosmiques new age. Le Brun nous explique la vérité physiologique de l’amour, attribuée au savant catalan Arnau de Vilanova : une image reste bloquée entre les deux yeux parce que la température corporelle augmente, vaporise les liquides du cerveau et le dessèche, fixant l’image de l’objet aimé. C’est une description du cinéma, sa douloureuse alchimie argentique, l’amour au temps de la mort au travail. Or cette Mort saisie en numérique, à la technologie entièrement sèche, propose peut-être autre chose encore. Le «bruit» qui vibre dans ses images légèrement sous-exposées et le «souffle», à la limite du parasite ou du fantôme, qu’on entend sur la bande-son valent comme signes d’une sensibilité poussée à la limite de ce que les machines peuvent percevoir, vers l’endroit repoussé de la frontière, imperceptible, entre le clair et l’obscur, l’endroit bruissant de leur mélange, qui sème un trouble dans le jeu royal des regards où la mise en scène nous place.

 

C’est aussi le lieu quasi imperceptible où Jean-Pierre Léaud, acteur bien vivant, joue avec chaque millimètre de sa peau. Il joue un presque rien qui n’avait jusqu’ici peut-être pas rencontré de regard assez aigu (du côté de la technique : faisons donc ici l’éloge de l’amour numérique) ou assez morbide (du côté de la mise en scène : faisons donc ici l’éloge du charlatanisme) pour l’enregistrer et l’exposer. «Peut-être le cinéma est-il assez vieux…»

 

Luc Chessel / Libération

Entretien

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