L'ornithologue

de Joäo Pedro Rodrigues

Synopsis

Fernando, un ornithologue, descend une rivière en kayak dans l’espoir d’apercevoir des spécimens rares de cigognes noires. Absorbé par la majesté du paysage, il se laisse surprendre par les rapides et échoue plus bas, inconscient, flottant dans son propre sang.

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Critiques

 On n’a plus si souvent l’occasion, au cinéma, de s’aventurer dans ces forêts de songes, dont les chemins sinueux et ésotériques nous font perdre la raison. L’Ornithologue, quatrième long-métrage en solo du Portugais João Pedro Rodrigues, est de ces films-là, et sa sortie a quelque chose de téméraire, en ces temps nébuleux où le spectateur en quête de clarté ne prendra peut-être pas le risque de s’y perdre. Pourtant, la splendeur ­formelle du film, son efflorescence symboliste, son impré­visibilité totale, sa destination euphorique, dessinent l’une des plus belles randonnées de cinéma vues depuis longtemps. Si l’égarement des sens comme du sens commun est sa condition, il reste encore le trajet le plus sûr pour mieux se retrouver soi-même, transformé et nouveau.

 

Difficile de raconter un film qui ne cesse de se dérober, bifurquant et se recomposant presque à ­chaque plan. Il part d’un pos­tulat rationnel : Fernando (Paul Hamy), l’ornithologue en titre, venu en excursion dans les gorges fluviales du Haut Tras-os-Montes, près de la frontière espagnole, observe comme il se doit les oiseaux du coin. Entraîné par le courant, son canoë se fracasse dans les rapides et le laisse inanimé à l’orée d’un bois. C’est là que deux Chinoises égarées, en pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle, le retrouvent, le réaniment et le soignent autour d’un feu de camp. Au matin, ­Fernando se retrouve à demi-nu, encordé à un arbre ­façon « bondage » sadomasochiste…

 

Le récit vient alors de basculer, et s’enfonce avec son personnage dans un territoire de plus en plus fantasmatique, peuplé de figures à la fois légendaires et charnelles : un berger sourd-muet nommé ­Jésus, les convives déguisés d’un rituel païen, une troupe d’amazones dépoitraillées, ainsi qu’une foule d’animaux sauvages semblant guider Fernando vers un terme secret.

 

Le film avance ainsi au rythme de la marche, endossant un mode hallucinatoire du récit picaresque, dont chaque étape marque la perte d’identité du ­héros, peu à peu dépouillé de ses effets, comme de ses attributs. Ce qui frappe, en premier lieu, c’est la logique essentiellement géographique à laquelle l’ensemble répond : Fernando, sans jamais pouvoir revenir au monde civilisé, traverse des paysages splendides, imposants, impérieux, et litté­ralement « surnaturels » – dans le sens d’une nature fantasmagorique qui finit par tout envahir, jusqu’à la réalité même. Rodrigues filme ce territoire avec une infinie précision, inscrivant dans le cadre ses reliefs, ses anfractuosités, ses matières (l’eau, la roche, la terre, la végétation), comme une grande éruption de formes où se logerait en creux le parcours du héros. Rien n’empêche donc de voir le film au premier degré, comme l’exploration d’espaces fascinants et secrets, dont on ne sait jamais sur quoi ils vont déboucher.

Iconographie des saints.

 

Mais tout est double dans cet univers, et la mort n’y a qu’une valeur symbolique : celle d’un passage vers d’autres occurrences de soi. En effet, Fernando semble lui-même avoir plusieurs corps, plusieurs vies et plusieurs noms, puisqu’on finit par l’ap­peler Antoine (d’après saint ­Antoine de Padoue, l’un des saints les plus populaires du Portugal). Plus précisément, chaque station de son périple convoque l’iconographie des saints, et ­s’apparente ainsi à un martyrologe : le randonneur sera ligoté, blessé, abattu, et ses plaies examinées comme celles du Christ par saint Thomas.

Plus généralement, son dialogue avec les oiseaux fait im­manquablement penser à saint François d’Assise. Tout le film peut être ainsi vu comme une pro­fanation agréablement blas­phématoire de l’imagerie sainte, ramenée aux termes de la passion amoureuse. Les corps dénudés et glorifiés au sein d’une ­nature hallucinée, les étreintes naissant au gré d’une clairière donnent lieu à une troublante plongée subjective, dont la fin ­serait la soudaine transfiguration du héros. Car ici comme dans tous les films de Rodrigues, le chemin n’est jamais que l’indice extérieur d’une métamorphose plus profonde, au cours de laquelle les êtres déposent à terre la peau morte de leurs identités obsolètes.

Le Monde par Mathieu Macheret 

 

 

Grands espaces, images somptueuses, émotions fortes : voilà qu'un réalisateur identifié à l'art et essai le plus pur se frotte au film d'aventures et de survie. Un ornithologue, seul sur le fleuve Douro, au nord du Portugal, perd le contrôle de son kayak en observant des oiseaux à la jumelle. Il se réveille, un peu plus tard, au milieu d'une nature hostile, façon The Revenant... Mais avec le cinéaste d'O Fantasma et de Mourir comme un homme, il n'y a pas de convention qui tienne. A elle seule, l'attention prolongée aux oiseaux (et la magie documentaire qui en découle) annonce autre chose. Bientôt l'irrationnel s'en mêle. Puis le fantasme. Le religieux, aussi : il s'agit d'une évocation très libre de la vie de saint Antoine de Padoue, grande figure de la culture portugaise, qui, après un naufrage, prôna le dénuement matériel et changea de nom.

Les fans de Rodrigues, peu nombreux mais fervents, retrouveront le sel de ses films précédents : l'exploration du corps et de ses limites. La quête existentielle et métaphysique d'un personnage qui n'en finit pas de se découvrir, comme une terre inconnue. L'Ornithologue apporte, en plus, une maturité radieuse : les ténèbres ne sont plus le seul horizon. Malgré la violence des épreuves initiatiques, voilà un film solaire. Son acteur principal, le Français Paul Hamy (le jeune homme qui draguait Catherine Deneuve dans Elle s'en va), y est pour beaucoup, avec son regard clair, enfantin, et sa force physique de baroudeur. Un héros comme innocent face à l'érotisation dont il fait l'objet, à tout moment.

La démarche la plus surprenante du cinéaste consiste à prêter sa voix à son interprète. Et même, par flashs occasionnels, à prendre sa place dans l'image. Tout comme, au xiiie siècle, Fernando est devenu Antonio, l'ornithologue joué par Paul Hamy devient peu à peu quelqu'un d'autre, qui aurait le visage de João Pedro Rodrigues. Ce n'est pas seulement une belle idée théorique (l'auteur dévoilé derrière le personnage), mais la revendication émouvante d'un parcours. L'éloge d'une sagesse amoureuse et d'une joie panthéiste.

Télérama par Louis Guicharnet

 

Entretien avec le réalisateur

 Votre nouveau film semble rejoindre par une boucle évidente votre premier long métrage, O Fantasma (2001).

C’est vrai, et l’Ornithologue boucle aussi quelque chose avec ma vie, d’une manière plus ample encore. Cela renvoie à mon enfance, passée à regarder les oiseaux, me rêvant ornithologue. Mais tous les films sont des boucles avec la vie. L’écho le plus évident à O Fantasma, c’est l’idée du parcours d’un personnage seul. O Fantasma se passait toutefois en ville, alors que cette fois j’ai tourné dans la région la plus sauvage du Portugal, en effaçant à dessein toute trace de civilisation et d’intervention de l’homme. Il y avait vraiment l’envie d’une nature hors du temps, de faire quelque chose comme un film d’époque sans époque déterminée. De la même façon, puisque c’est un film qui parle beaucoup du double, je voulais que même le costume du personnage soit multiple, qu’il porte plusieurs sens, d’où ce sweat-shirt dont la couleur brune rappelle déjà la bure, qui se transforme en habit franciscain quand il en met la capuche.

 

Il y a cette idée de traque, aussi…

Le personnage accomplit un trajet physique, mais aussi existentiel, comme dans Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Il poursuit un but précis, chercher des oiseaux, et c’est comme s’il se trouvait, malgré lui, transformé par le lieu, qui lui désigne un autre chemin. Mais peut-être que cela a aussi à voir avec mon passé, une certaine liberté que j’ai eu enfant. Mon rapport au monde a changé, mais j’essaie de rester un peu naïf, et le film nécessite ça. Il faut pouvoir croire à sa forme d’évidence, sans chercher à l’expliquer.

 

Vous avez tourné le film sur deux étés, menant beaucoup de projets entre-temps. A quel point sa forme définitive était-elle planifiée ?

Il y avait au départ un scénario très écrit, que j’ai beaucoup amendé après avoir monté les images tournées le premier été, lors duquel je n’avais filmé que les oiseaux sauvages. J’ai tout réécrit en pensant à ces images et le film s’est donc reconstruit autour. On n’anticipe pas ce que vont faire les oiseaux, il a fallu s’adapter. Et puis il y a des choses qui me sont venues seulement une fois l’ensemble de la matière tournée, au montage. Notamment l’idée de postsynchroniser toutes les paroles de Paul Hamy avec une autre voix, qui se trouve être la mienne, même si j’avais déjà tourné les séquences dans lesquelles j’apparais. Mon monteur et moi trouvions que cela ouvrait le film, l’amplifiait.

 

L’Ornithologue est traversé par une multitude d’échos à des tableaux, des textes, des mythes - sans doute moins à des films qu’à l’accoutumée. Comment les innombrables références dont se chargent vos films, comme s’ils étaient hantés par elles, investissent-elles le projet ?

Ce sont des choses qui se trouvent en moi. Au départ, je voulais partir une nouvelle fois du mythe de saint Antoine, auquel je m’intéresse depuis Mourir comme un homme, et dont je me suis inspiré de façon très libre pour construire le récit. Je pense aussi que le film a beaucoup à voir avec le western, le rapport d’un homme seul à sa survie au milieu de la nature, comme dans The Revenant, en somme, ou plutôt le film qui l’avait précédé, s’inspirant de la même histoire, le Convoi sauvage de Richard Sarafian. Je pense aussi au genre de westerns que faisaient Anthony Mann ou Budd Boetticher, des films très secs, très minéraux, dont les héros ressemblent à des rochers. Notamment la Chevauchée de la vengeance, que j’aime beaucoup, une traversée très intérieure, qui parle d’un homme, de sa vie passée, et pas d’une communauté, comme chez Ford. Il y a quelque chose de brut et sculptural dans ces films que je crois retrouver un peu chez Paul Hamy.

 

Qu’est-ce qui vous fait revenir souvent à saint Antoine ?

Je m’intéresse à la vie des saints, à l’idée de passer par une martyrologie pour devenir immortel. Dans mon film, le personnage survit à plusieurs morts, et mes œuvres parlent toujours de ça, comment dépasser la mort. Et j’ai voulu redonner une lecture qui me paraissait plus juste, quand bien même elle serait inventée, de la figure de saint Antoine qui avait été érigée sous la dictature de Salazar en symbole de la famille, du mariage… Alors qu’initialement, cette histoire, c’est un moine franciscain qui a tout abandonné : famille, richesses… Le catholicisme s’est beaucoup écarté de ses fondations qu’on pourrait, de manière un peu anachronique, dire «de gauche». On s’est vraiment éloigné de la nature, d’une forme d’idéalisme et d’utopie, et le film veut revenir vers cela à travers cette figure. Sauf que mon personnage tient autant du saint que du cow-boy, un peu à la Johnny Guitare.

 

Dans ce film, comme souvent dans vos précédents, vous revenez à la figure du play-back, de corps qui s’expriment par des voix qui ne leur appartiennent pas. Qu’est-ce qui vous plaît tant en cela ?

En principe, au cinéma, je n’aime pas du tout le doublage. Mais là je pense que ça raconte vraiment quelque chose, comme un corps à deux têtes, multiple ! C’est l’idée d’une hantise : un corps est hanté par une voix, et la hante en retour. Dans la Dernière Fois que j’ai vu Macao, c’était l’idée d’une ville complètement désincarnée, qui reprenait chair grâce à nos voix justement. Là, dans l’Ornithologue, c’est comme si, à l’intérieur de mon rapport aux acteurs, fondé sur le désir et le fantasme, je devenais cet être que je ne suis pas, que je ne peux pas être. Comme si je devenais le fantasme.

 

Pouvez-vous parler de la chanson d’Antonio Variações qui clôt le film ?

C’est un morceau des années 80, mais son association avec l’Ornithologue est pour moi d’une telle évidence que c’est comme s’il avait été composé pour le film. Le titre, Cançao de Engate, veut dire «chanson de drague». Evidemment ça parle d’amour, au diapason du happy end du film, mais surtout elle dit aussi cette chose : être ensemble, c’est aussi être seul. En amour, il faut garder sa solitude. Et je pense que c’est très vrai.

 

Libération par Julien Gester

João Pedro Rodrigues sur le tournage de l’Ornithologue

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