John From

de Joao Nicolau

Synopsis

Lisbonne, dans des familles sans histoire, Rita et Sara, 15 ans, partagent leurs vacances d’été entre cafés glacés et après-midi lascives. La rencontre de son nouveau voisin, Philippe, enflamme la jolie Rita d’un désir violent. Le quartier tranquille en devient magique et merveilleux, comme une île de Mélanésie au cœur du Pacifique.

Dossier de presse

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Rencontre avec le réalisateur Joao Nicolau

Pourquoi la Mélanésie ? 
C'est à cause de la musique, car quand j'ai écrit le scénario, avec ma co-scénariste, on écoutait beaucoup de musique du Pacifique-Sud. J'écoute beaucoup de musique ancienne et ethnographique et je collectionne les disques de gramophone. J'essaie de récupérer ces musiques locales qui étaient très commerciales dans les années 20, 30, 40. Ils enregistraient une dame qui chantait dans un village pour aller revendre le disque dans le village à côté, puis ça se diffusait dans le monde entier : de l'Algérie à la Nouvelle-Calédonie, toujours sur le modèle des compagnies colonialistes américaines ou françaises. Donc on a un peu étudié cette culture-là mais ce n'est pas venu délibérément. Après bien sûr, on a fait des recherches et on a trouvé ce culte - « John From » - qui existe encore dans l'île de Tanna au Vanuatu.

 

Vous pouvez nous en dire plus sur ce culte ?
Les anthropologues ou les historiens des sciences sociales le mettent dans une catégorie qui s'appelle les « cultes du cargo ». C'est pas une spécificité de l'île, on les retrouve dans toute cette zone. Ca a commencé au début du XXème siècle, quand les occidentaux ont commencé à coloniser ces territoires de la Papouasie-Nouvelle Guinée à toutes les îles Salomon, les Fidji, Nouvelle-Calédonie. Les personnages varient : parfois c'est un aviateur américain, mais ça peut être aussi le Prince d'Angleterre ou un Tsar russe... Ce sont des cultes syncrétiques qui ont un peu associé l'image de l'étranger à l'abondance matérielle, étant donné qu'ils amenaient des miroirs, des fusils...
 
C'est aussi un film sur l'adolescence très adulte, qui repose quand même sur la passion d'une fille de 15 ans pour un homme mûr. Comment vous avez travaillé avec les deux jeunes actrices ?
On a fait un pacte, je leur ai dit qu'il y avait des choses qui pourraient leur échapper, que c'était un film avec des adolescentes mais pas sur les adolescents. Bien sûr que les ados peuvent le voir, mais c'est pas un film fait exprès pour eux. Elles ont très bien intégré ça. Et c'était surtout très important pour moi de ne pas tomber dans la figure de la « Lolita ». Il y a quelque chose d'érotique dans certains plans mais qui n'est pas sexualisé. Car le photographe du film est un homme fondamentalement bon, contrairement à Humbert Humbert chez Nabokov et Kubrick... Moi, ce qui m'intéressait, c'est le mécanisme de la passion amoureuse, et comment elle peut transformer le monde autour.
 

Peux tu nous parler de tes relations humaines et de ton travail avec Joao César Monteiro et Miguel Gomes ? Tu es l’auteur d’un ouvrage sur Monteiro également…Oui, j’ai dirigé le catalogue pour la Cinémathèque et j’ai encadré l’intégrale en DVD. Mais je n’ai pas fait d’école de cinéma, je n’ai jamais rêvé de faire des films, j’allais au cinéma évidemment. J’ai étudié l’anthropologie et j’ai commencé m’intéresser à la collecte d’image dans la recherche anthropologique. Ensuite j’ai fait un petit documentaire, c’était pas un objet de cinéma, plutôt de la recherche anthropologique sur un musicien au Cap-Vert.

Après ce documentaire, on a commencé a me proposer de travailler comme monteur de documentaire. Par la suite, Miguel (Gomes) m’a invité pour monter un court métrage, son troisième court métrage : de la science-fiction, mais il voulait un peu basculer ces processus, il cherchait quelqu’un qui avait une vision plus documentaire du cinéma pour monter avec lui. C’est comme ça que j’ai commencé à faire du montage aussi pour de la fiction. Avant de réaliser mon premier court métrage, j’ai beaucoup monté : des courts, des longs, de la fiction, des documentaires. Et un jour, après le tournage de son dernier film, Monteiro a voulu travailler avec une fille, Renata Sancho qui est scripte, notamment. Monteiro lui a demandé de monter le film parce qu’elle avait suivi tout le tournage, qu’elle connaissait très bien le matériel filmique. Elle est venue vers moi parce que j’avais plus d’expérience qu’elle comme monteur, donc on a été crédité tous les deux pour le montage. Mon rapport à Monteiro avant ça ? J’étais fan.Souvenir de La Maison Jaune (1989), c’était un choc. Pour toute une génération au Portugal, surtout à Lisbonne, Monteiro était quelqu’un qu’on admirait beaucoup. C’était un immense privilège de travailler avec lui. Après le montage de Va et Vient (2002), il est mort. Les gens m’ont invité à faire l’édition DVD du film. On avait récupéré des films qui étaient perdus, j’ai donc mis une condition : m’occuper de l’édition de l’intégrale de ses films. Après la sortie de ce coffret, l’ancien président de la cinémathèque m’a proposé de coordonner le catalogue, je n’ai écrit qu’un ou deux articles dans cet ouvrage. Je ne suis pas du tout quelqu’un qui a étudié le cinéma.

C’est un immense privilège de travailler sur Monteiro, mais ça m’est arrivé de travailler dessus par hasard. Il était critique avant de s’attaquer à la réalisation, c’est une immense chance d’avoir accès a ses textes, ses scénarii et puis bien sur ses films. Ce genre de travail n’est pas quelque chose que je continue à faire, je n’ai pas vraiment une solide formation cinéphilique. J’ai étudié l’analyse filmique, mais seulement à travers l’anthropologie. Avec Miguel Gomes, bon, il m’a invité pour monter ses courts métrages, j’ai aussi joué dans quelques uns de ses films et il a aussi monté mon premier court métrage (Rapace, 2006), il fait une petite apparition dans le deuxième (Chanson d’amour et de bonne santé, 2009). Mais ce n’est pas facile de collaborer, on est collègue, on est ami. Je lui montre mes films au moment du montage, et lui également m’invite à réfléchir au moment du montage de ses films. On est tous les deux timides, c’est une communication plutôt silencieuse

Tu es aussi musicien. Quel est ton rapport à la nouvelle scène electro pop portugaise?Je suis musicien amateur. Je n’ai pas de formation non plus, j’ai un groupe, comme beaucoup de monde, je joue. Avec un de mes groupes, Munchen on a même fait des disques et pas mal de concerts. Je suis vraiment amateur, je joue de pas mal d’instruments, mais je ne suis pas spécialiste. Je vis beaucoup plus la musique que le cinéma. Je joue de la basse, je collectionne des vinyles. La musique est plus importante dans ma vie quotidienne que le cinéma.

Après j’ai heureusement des amis qui sont devenus des musiciens professionnels. Ma sœur, ma co scénariste, Marianna Riccardo, est aussi musicienne, elle joue beaucoup. La musique est une une grande part de sa vie. Ce sont des amitiés, des liens de travail, ce n’est pas un programme. Je ne connais pas de musiciens a succès, d’electro pop… même si pour mon prochain film, qui sera une comédie musicale très classique avec 10 ou 11 moments musicaux, je vais faire appel à un groupe. C’est un défi pour moi de voir comment on peut travailler le genre, aujourd’hui, expérimenter, tout en s’inscrivant dans un héritage plus classique. Pour l’occasion je vais travailler avec Durin un groupe de musique populaire qui a beaucoup de succès au Portugal. Je pense qu’ils sont les meilleurs. Il y aura aussi Norberto Lobo, qui est un guitariste alternatif, qui travaille plus dans la tradition américaine, plus dans le free jazz. Je trouve intéressant d’utiliser les deux. Observer ce qu’il se passe, l’espace qui prendra forme entre ces deux univers musicaux. Souvent, cela vient dès le scénario, j’écris et je me souviens d’un morceau et je le mets dans le scénario. J’ai composé des morceaux, notamment pour LÉpée et la rose (2010).

Comme dans John From (le thème du générique), mais c’était plus une façon d’aider Joao Lobo (le compositeur) qui sur le film s’est occupé de la direction musicale. Pour mon prochain film, j’ai envie d’approfondir la chose, et jouer avec les formes classiques du genre de la comédie musicale. Par exemple pour la première fois on a fait appel à un compositeur dès l’écriture du scénario. 

Chanson d’amour et de bonne santé est un film bilingue en portugais et en français. Pour L’épée et la rose, tu utilises autant le portugais, que le français et l’allemand. Tu te sers des langues pour leur musicalité ou bien est-ce pour des raisons de coproduction européenne ?Pour L’Epée et la rose, il n’y avait aucune contrainte, c’était avant tout une question de thématique. La piraterie, cela me semblait évident d’utiliser plusieurs nationalités. Il y avait une résonnance sur la question de qui est l’otage de nos jours ? Ça me faisait plaisir d’inverser le rapport de force. Prendre en otage les pays d’Europe centrale. Le Portugal est le pays le plus pauvre d’Europe. Mais il y a deux trois passages en turc également. Pour Chanson d’amour et de bonne santé, c’était différent. On avait le soutient de Canal + pour le court métrage, le scénario et la note d’intention étaient uniquement en portugais. Mais Canal nous a appelé deux semaines avant le tournage pour s’excuser.Leur service juridique leur a fait remarquer qu’il fallait que le film soit tourné à 50 % en français et qu’en l’état ils ne pouvaient plus produire le film. On avait prévu le tournage avec l’aide significative de Canal. On avait écrit le film pour tourner à Porto. On a donc déplacé toute l’équipe de tournage à Porto parce qu’il n’y a pas de techniciens à Porto, ils sont tous à Lisbonne. Même le décor était prêt. Mais mon producteur m’a dit qu’il fallait arrêter, car il n’avait plus l’argent nécessaire pour faire le film là bas. Donc on a mis en place un dispositif permettant de faire en sorte que la seconde partie du film soit tourné en Français. J’ai tourné deux fois les scènes, une fois en français, une autre fois en portugais.

Au départ je pensais faire deux montages du film, l’un Franco-Portugais uniquement pour Canal et l’autre, qui serait mon film, serait uniquement en portugais. Mais au montage, je me suis aperçu qu’il était plus intéressant d’utiliser les deux langues. Ce n’était pas pensé avant.

Quel est ton rapport avec un cinéaste comme Jacques Demy ?De Demy, je dois avouer que j’ai seulement vu Les Parapluies de Cherbourg. Ce film c’est un film île dans l’histoire du cinéma. Je savais déjà que c’était un film tout en chanté. J’aime bien. Au départ, j’étais un peu effrayé, mais ça me plait. Le côté obsessionnel, ça m’intéresse beaucoup. Je ne vais pas faire ça.

Tes films m’ont également fait penser à un autre cinéaste français : Jacques Tati.Tati j’ai vu tout ses films, j’aime bien son côté primitif de jouer avec la physicalité. Quelque chose qui s’est un peu perdu depuis les années 30. Moi j’aime bien la physicalité. Pour la première fois, j’ai utilisé des effets spéciaux primitifs dans John From. Parce que je voulais que cela participe à cette expérience physique que je voulais partager avec le spectateur. Ce ne sont pas des effets spéciaux très bons. Car je voulais que les spectateurs assistent à des effets qui se font devant ses yeux.

Tu ne veux pas passer pour un cinéphile ?Ce n’est pas vrai, je ne veux pas passer pour un ignorant non plus. Mais c’est vrai que je n’ai pas étudié le cinéma, j’ai eu l’immense chance de connaître le cinéma en travaillant. J’ai eu le privilège d’être au contact de très grands réalisateurs, producteurs ou programmateurs. Je ne suis pas cinéphile dans le sens ou je ne vois pas beaucoup de films. Il y a des films incroyables de l’histoire du cinéma que je n’ai pas vus. Je n’ai pas de problème avec ça. Même s’il y a des films que j’aime, des auteurs que j’aime qui sont attachés à cette idée de cinéphilie. L’importance du cinéma dans ma vie c’est parce que c’est mon travail. Mais j’éprouve plus de plaisir à écouter de la musique, à jouer de la musique avec mes amis, à faire du foot et observer les oiseaux. 

Si je pose cette question, c’est que je vois des liens entre ton travail et ceux de Yann Gonzalez et Alain Guiraudie.J’ai la plus grande estime pour Yann, on a montré nos premiers courts métrages la même année à la Quinzaine des Réalisateurs (RespectivementBy The Kiss et Rapace, en 2006 – ndlr -), mais je dois avouer que j’ai un peu perdu le fil de son travail. Et Guiraudie, par contre j’ai vu ses deux derniers films, l’Inconnu du lac et Le roi de l’évasion, que je trouve, tout les deux, magnifiques. Mais je ne connais pas ses premiers films. Je connais les premiers films de Yann et avec Guiraudie c’est le contraire. Et je crois que je me sens plus proche de la physicalité et le burlesque que l’on retrouve dans le cinéma de Guiraudie.

Sur cette jungle qui se propage dans les rues de Lisbonne dans John From, cela m’a fait penser au Douanier Rousseau, est-ce une de tes références ?Je connais ses tableaux, mais je n’y pense pas. Je n’ai jamais donné des références à mes acteurs. Pour John From la seule référence que j’ai donnée c’est un tableau de Gauguin, « les femmes sur la plages« . Mais c’est parce qu’on utilisait un livre avec des reproductions de ses peintures. Mais esthétiquement il n’y a pas vraiment de référence à Gauguin. J’aime découvrir les choses moi même, même si c’est avec 90 ans de décalage. Faire un film est un défi : vais je arriver à faire ça ? C’est une expérience. Côté références, moi je n’y pense pas. Bien sur qu’il y en a, mais c’est parce qu’on est la somme de ce qu’on a lu, que l’on a vu.

Et quel est ton rapport avec l’art contemporain évoqué dans Rapace (une galerie d’art) et Chanson d’Amour et de bonne santé (la scène du parc) ? Il me parait un peu ironique…Je ne suis pas vraiment un consommateur d’art, je n’ai pas étudié les arts et surtout les arts plastiques: je ne suis pas éduqué. Pour Chanson d’amour et de bonne santé, j’ai découvert en faisant le film que c’était une œuvre d’un artiste contemporain très connu Dan Graham. J’ai vu cette œuvre pour la première fois, je ne connaissais pas l’artiste. Je me suis dit que cela allait être difficile de filmer, mais heureusement on a pu tourner la scène. Son installation faisait une belle transition entre la première et la seconde partie du film. Cette boite de verre vide, répondant au centre commercial et à la thématique des clefs. Le jardin où ils se découvrent amoureux, est un peu un jardin d’eden. C’est après ça que j’ai eu l’idée de faire de l’étudiante une élève des beaux arts. Oui, il y a un peu d’ironie à travers ce personnage. Pour Rapace, oui il y a une galerie, mais je n’y ai pas vraiment pensé

Tu filmes beaucoup les animaux, une mygale dans ton court Gambozinos, mais surtout les oiseaux : tu utilises souvent les chants des oiseaux, et tu filmes une Echasse blanche dans L’Epée et la rose, un Casoar et des Perruches à collier dans John From.Oui les oiseaux, c’est une passion, je suis birdwatcher (ornithologue) amateur. Quand je pars de la ville, j’emmène mes jumelles pour les observer. Pour les autres animaux, c’est des idées qui me viennent sans savoir d’où elles viennent. Bon à la fin de Rapace, je filme un rapace. C’est plutôt allégorique. Dans Chanson d’amour et de santé, il y a un dialogue sur les geais. En fait ça fait partie des choses qui nourrissent ma vie et que je transporte dans le film. Le Casoar de John From à différente valeur, je crois, cela fait appel aussi à l’imaginaire de cette région du monde, de la jungle qui envahit le film. Pour l’annecdote on a cherché au départ à faire venir un Casoar pour le filmer dans les rues. Mais cela posait problème, c’est un animal très agressif, il a tendance à frapper avec ses pattes. Même le propriétaire de l’animal que l’on avait, au départ, rencontrer, n’osait pas rentrer dans la cage. Il y avait un autre dresseur en Espagne qui était disponible pour le faire. Il coutait trop cher. Alors on a fait appel à une banque d’images et on a incrusté l’image du Casoar dans le plan.

La faune et la flore sont des éléments que j’aime intégrer dans le cinéma, qui peuvent avoir une grande valeur cinématographique. Mai il y eut un changement avec mes deux derniers films, ils sont moins centrés sur moi, même si je n’ai jamais fait de films autobiographiques. Mais il y a des références personnelles dans mes premiers films. J’ai l’impression que ce qui m’intéresse maintenant c’est la transformation des règles. Les règles que s’inventent les personnages pour vivre dans le monde. Ce sont toujours des protagonistes qui ont besoin de se créer des règles. Ce sont bien plus des questions qui me taraudent que l’utilisation de la faune dans mes films. L’utilisation du sujet animal vient plus de son utilité dans l’histoire que de ce qui m’obsède.

 Tu évoquais à propos de l’Epée et la rose la dimension politique de ton film, je trouve pour ma part que cela n’est pas forcement ce qui te préoccupe principalement. Est ce que tu recherches à faire des films politiques ?C’est aux critiques de le dire, disons que je ne filme pas des contextes sociaux. Je ne cherche pas non plus à faire des portraits, mettre le cœur narratif dans une réalité sociologique, sociale. Je ne cherche pas à le faire, mais bien sûr, il y a un discours politique que je veux tenir, qui est présent dans mes films. Mais sans jamais se retrouver au cœur de mes films. Dans John From, il y a bien sûr un jeu avec l’idée de l’autre. L’autre peut être l’habitant de Mélanésie, mais cela peut être aussi votre nouveau voisin plus âgé. Et là il y a déjà une proposition politique et puis il y a uneréflexion sur la transformation d’un quartier. Mais disons que ce n’est pas fait exprès.Par contre dans John From j’ai voulu vider délibérément le film de tout ce qui est accessoire à ce quartier, à ce centre qui représente la nature de la passion amoureuse. La nature de la logique de transformation. C’est pourquoi j’ai centré mon film sur l’adolescence, c’est un temps ou l’intensité des choses permet de bien condenser ça dans un film. C’est pour ça aussi que j’ai situé l’histoire durant l’été, un temps où Rita, la protagoniste est plus disponible a ce qu’il va lui arriver. C’est pourquoi j’ai évacué tout ce qui avait un rapport à la réalité des parents. Je me suis débarrassé de tout ce qui était accessoire, pour me plonger dans ce qui était le vrai thème du film. C’est un peu ce que j’ai voulu exprimer à l’image. Dans la première partie du film, il n’y a pas de figurants. J’ai évité d’utiliser des figurants, je voulais voir un quartier totalement vide, exprimer le choc physique d’un quartier vide. Un moyen de préparer au « voyage » de Rita. On a tourné en aout, et même en aout c’était difficile de filmer des cadres larges avec les rues vides. Mais quand on sort du quartier, là il y a beaucoup de monde. C’est en opposition avec ce qu’ il va se passer à la fin du film.
Cinematraque de Gaël Martin.

Critique

 

 

Le second long métrage de João Nicolau aurait merveilleusement trouvé sa place dans la belle programmation consacrée l’an dernier par le Forum des Images à la représentation de la jeune fille au cinéma. S’étaient alors succédé, à travers projections et conférences, des figures féminines aux corps indécis entre l’enfance et l’âge adulte, objets de désir et de mystère. C’est justement dans une période transitoire que le cinéaste portugais choisit de faire le portrait de Rita : entre deux années scolaires, au beau milieu d’un été, prise dans la langueur des journées de vacances ; entre deux amours aussi, elle dit au revoir à un garçon de son âge avant de jeter son dévolu sur un voisin deux fois plus âgé qu’elle. Nicolau prend son personnage suffisamment au sérieux pour ne pas le rabattre à un sujet ou une thématique, pour ne pas réduire ses agissements ou aspirations à la psychologie de son âge. En revanche, il en fait assurément un motif de cinéma. Plutôt qu’un corps en devenir, la jeune fille apparaît comme un corps au ralenti. Avec indolence, elle oscille de l’inaction à la lenteur, avant de traverser énergiquement le cadre fixe du quartier résidentiel de Lisbonne qu’elle habite. Le film entier est traversé de musiques, celle que joue Rita au piano de la salle de quartier, ou qu’elle écoute sur son iPod. Tout autant que son corps est perméable aux variations de tonalités des airs qu’elle écoute, le film se plie à de perpétuelles et subtiles ruptures rythmiques.

 

De Lisbonne à Nouméa

On sent un vif plaisir pour le cinéaste à filmer son propre quartier de Telheiras, autant pour ce qu’il offre de banalité de zone résidentielle que pour la plasticité des emboîtements d’espaces qu’il offre au regard. La précision et la netteté des cadres décollent de leur banalité ces espaces que Rita traverse jour après jour pour leur donner une pointe d’incongruité, déjà présente dans le tout premier plan qui voit une paire de tongs flotter sur un sur une terrasse inondée. Dans le très prosaïque quotidien de Rita flotte déjà un parfum d’exotisme, comme la nature se manifeste timidement en arrière plan au travers des murs du quartier, prête à s’insinuer dans cet espace urbain. Il suffira de la rencontre avec un voisin, père célibataire et photographe, pour recouvrir le l’ennui tranquille d’excitation et pour que la visite d’une exposition de photographies qu’il a prises en Mélanésie donne des airs d’île du Pacifique à ce quartier classe moyenne lisboète. Ce mélange des genres ouvre alors la chronique ancrée dans la banalité de la quotidienneté à une forme de fantastique et de merveilleux qui s’engouffre dans le récit de la même façon qu’un épais brouillard pénètre dans le sous-sol de l’immeuble. Dans les interstices laissés vacants par l’inactivité de Rita viennent se loger ses rêves d’aventure. Le film se laisse alors envoûter par un parfum d’ailleurs autant que la jeune fille par cet époux fantasmé. C’est qu’en plus de rendre le monde musical, João Nicolau compose en peintre des cadres qui dans la première partie, fonctionnent comme des aplats abstraits de couleurs vives, avant d’évoquer la période tahitienne de Gauguin. La jeune fille n’est alors pas seulement dans son cinéma, un corps énigmatique, mais la volonté qui transfigure les lignes droites du quartier en une cartographie imaginaire.

 

Critikat de Raphaelle Pireyre

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