IXCANUL

de  Jayro Bustamante

Synopsis

Maria, jeune Maya de 17 ans, vit avec ses parents dans une plantation de café sur les flancs d’un volcan, au Guatemala. Elle voudrait échapper à son destin, au mariage arrangé qui l’attend. La grande ville dont elle rêve va lui sauver la vie. Mais à quel prix...

Critiques

Le très beau premier film de Jayro Bustamante est une saisissante plongée dans le quotidien d’ouvriers guatémaltèques dont la vocation ethnographique est reconfigurée par la peinture d’un monde aux frontières du fantastique. Deux mouvements a priori paradoxaux qu’une mise en scène brillante synthétise dans un équilibre miraculeux. Une réussite qui fait d’Ixcanul la première oeuvre très prometteuse d’un auteur à suivre de près.

 

En un unique plan d’introduction, Jayro Bustamante affirme avec force son projet. C’est un gros plan de visage, de face, frontal. On reconnaît immédiatement l’actrice principale qui trône sur l’affiche du film. Des mains s’affairent autour d’elle et semblent la préparer pour une cérémonie. Elle est très belle mais ne sourit pas, statufiée dans une ambiance morne qu’un silence pesant parachève. Elle nous regarde dans les yeux. Ce plan est long. Et fixe.

Dans ce plan d’une puissance rare, beaucoup de choses sont énoncées avec une simplicité désarmante qui dissimule une étonnante maîtrise. Jayro Bustamante, malgré son inexpérience, semble déjà avoir compris l’essentiel de ce qu’est le cinéma et fait des choix très personnels.

 

On devine un cinéma proche de l’individu mais mû par deux voies radicalement opposées : une voie sociale qui laisse deviner des destins contrits par le poids des traditions et une voie biologique, au plus proche d’une peau que le film ne cessera de décliner dans tous ses états – jeune, vieillissante, ferme, plissée, grasse… Pour Jayro Bustamante, l’individu est à la fois une idée qui nourrira un récit et une matière qu’une esthétique se plaira à sculpter et ausculter.

De même, selon le principe du champs et du hors-champs, l’individu devient un personnage identifié à l’humanité palpable – ici, un visage qui communique une émotion – ou se livre de façon parcellaire, en proie à une déshumanisation – ces mains qui s’affairent autour d’elle. Si on peut projeter une histoire individuel sur ce jeune visage, ces mains travailleuses n’ont que la précision mécanique d’un geste sans conscience qui semble régi par quelque chose au-delà de l’humain, entre présence et absence, et influence le cours des évènements.

Ces nombreuses voies contraires ne cessent de cohabiter au sein d’images qui transcendent un sujet finalement assez conventionnel : le poids des traditions dans les civilisations. Sur les traces de Robert Flaherty mais aussi de Jacques Tourneur, Ixcanul fait œuvre de cinéma autant que de témoignage réaliste avec un sens de l’équilibre presque parfait qui doit plus à la circulation et à l’entremêlement qu’à leur stricte cohabitation. Pour pénétrer de plein pied l’imaginaire, Ixcanul se pare des oripeaux de la fable morale. A partir d’une situation connue et d’éléments habituels, la route semble toute tracée : ils sont jeunes et beaux, s’aiment et rêvent d’un ailleurs, font un enfant envers et contre toutes les lois qui régissent la communauté. On devine qu’ils s’échapperont à travers un récit forcément initiatique, un conte de la jeunesse. Mais l’amant disparaît soudainement. Et l’histoire attendue est avortée.

On imagine alors l’affrontement de l’individu contre la communauté comme un hymne à la liberté individuelle et au libre arbitre. Tout au contraire, Ixcanul déploie avec force le rapprochement entre une mère et sa fille.

On imagine le poids de la honte qui culmine lors d’un avortement que l’on devine inacceptable. Il sera l’occasion d’une plongée hallucinante dans un autre monde – la ville – que l’incommunicabilité et la malhonnêteté reconfigure en enfer urbain mais qui soude le cellule familiale.

 

Avec ses multiples redirections, le récit semble déjouer un à un tous les modèles de récit pour surprendre le spectateur. Bien plus que la relation à la communauté, c’est la relation intrafamiliale qui intéresse l’auteur. La famille est une cellule dont il témoigne des incompréhensions et des réconciliations avec une grande justesse, à l’image de ce père dont l’attitude se transforme progressivement face à la situation, allant du dépit – le poids de la honte – à la joie – celle de voir sa fille comme une mère.

Confortant l’image familiale comme cellule indivisible, Ixcanul n’est pas sans confrontation ni menace. Si le programme de la fable morale est déjoué par un récit plus singulier qu’il n’y paraît, c’est le réel qui se trouve être en première ligne d’un dispositif qui le baigne dans une inquiétante étrangeté jusqu’à sa déformation. Tout a commencé avant le film, avec ce titre énigmatique. Pourquoi ce volcan ? Outre sa majestueuse présence, quel rôle a-t-il à jouer dans le film ?

 

Il est, justement, présence. Mais au sens de « manifestation ». Il est une frontière qui suggère un au-delà fantasmé par la communauté, le symbole d’une limite entre le visible et l’invisible. A moins qu’il n’en soit un passage, ce lieu séculaire qui libèrerait des forces, dirige des mains, contrit les destins au nom de la croyance, à la lisière de l’obscurantisme. Si quelques scènes d’Ixcanul évoquent des rites chamaniques et mystérieux, des forces invisibles semblent néanmoins s’y agiter en permanence. Par le cadre et la lumière, Jayro Bustamante excelle à distiller une ambiance étrange qui infuse dans la totalité du film. Il révèle alors son vrai projet : un processus de déréalisation. Mieux encore, il trouve dans chaque geste, dans chaque parcelle de peau subtilement éclairée un détail qui confine au bizarre et qui incarne puissamment cette lente contamination. Ixcanul, comme l’était Dersou Ouzala, s’inscrit dans une tradition chamanique du cinéma, de celle qui tente d’imprimer sur pellicule l’invisible, qui saisit, au détour d’un plan, l’expression de forces qui nous dépassent.

 

Des forces telluriques, venues sans doute du ciel mais qui surgissent de la terre, incarnées en serpents. Ces mêmes forces qui guidaient les mains d’une mère préparant sa fille au mariage. Celles là même qui transformeront, lors d’une séquence inoubliable, un enfant en pierre. A l’expression de ce dernier pouvoir, terrifiant, Jayro Bustamante offre un visage moderne, à l’inverse de ce volcan antédiluvien : celui de la ville, si désirée, si fantasmée. Si Ixcanul tentait la déformation du réel, c’était finalement pour mieux distiller un discours politique critique et contemporain.

Entre passé et présent et entre ciel et terre, rarement la tentation des contraires n’aura été aussi fertile pour peindre la disparition d’une société  en proie à une menace aux visages multiples.

 

Culturepoing.com

Pour son premier long-métrage, le réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamante a choisi de nous raconter l’histoire de Maria, jeune Maya de dix-sept ans, vivant avec ses parents dans une plantation de café à flanc de volcan. Coupée de la civilisation hispanophone et de la grande ville qu’elle se représente comme un ailleurs lointain et dangereux, cette petite famille se nourrit de mythes et de croyances ancestraux, vouant un culte mortifère au volcan menaçant. Dans sa première partie, Ixcanul ne semble porté que par cette volonté appliquée de donner à voir : conscient que le cinéma guatémaltèque est quasiment inexistant, que les Mayas ont encore moins de chances d’y être représentés, Jayro Bustamante se place en passeur d’images. D’inspiration documentaire lorgnant à de nombreuses reprises vers ce naturalisme world qui pullule dans les salles depuis de nombreuses années, le récit s’efforce de reconstituer le quotidien d’un peuple à la marge, toujours sur le fil ténu du voyeurisme exotique. Cela se traduit par un enchaînement de petites scènes qui fonctionnent comme autant de vignettes : l’égorgement du cochon, la chasse au serpent, la récolte du café, entrecoupée d’offrandes à Dieu sur les pentes escarpées de la montagne et l’organisation d’un mariage arrangé entre Maria et un veuf plus âgé qu’elle.

 

Espace et position

 

Bien heureusement, parce qu’il évite la surenchère dramatique et ne cherche pas la compassion du spectateur, le réalisateur évite les pièges qu’il s’était tendu à lui-même. À juste distance des personnages, la caméra prend le temps d’enregistrer le quotidien, les détails qui ne sont pas nécessairement signifiants et s’abstient de tout symbolisme appuyé sur la condition générale des paysans mayas dans un pays d’Amérique Centrale où leur intégration reste problématique. Par le prisme de la belle et insaisissable Maria, Ixcanul s’intéresse moins à la psychologie des personnages qu’à leur rapport au monde, souvent fait de croyances inexactes et nourri par des craintes irrationnelles. Là où le film échoue, c’est dans la manière d’appréhender les espaces dans lesquels évoluent Maria et sa famille. Trop en retrait, la mise en scène se contente parfois d’un plan fixe arbitrairement cadré : le personnage traverse l’espace de bout en bout en temps réel sans que cela ne dise rien de plus. Alors qu’il y aurait eu tant à faire autour du volcan et du hors-champ spatial (l’eldorado états-unien que certains imaginent proche alors qu’il faut encore traverser le Mexique), le réalisateur peine à faire des choix forts, probablement soucieux de ne jamais tomber dans la pure démonstration. On peut louer cette prudence tout en considérant qu’elle nuit à la force du film.

 

Du sentiment maternel

 

Alors que le personnage de Maria peine parfois à s’incarner - son effronterie, soulignée dès les premières scènes par son manque d’entrain à exécuter les tâches du quotidien, la conduit à faire des choix qui ne semblent là que pour dérégler la situation de départ, Ixcanul offre en revanche un intriguant personnage de mère, directif et aimant, à la fois inculte et lucide. Au détour de quelques belles scènes (notamment lorsqu’elle se lave avec sa fille et que s’établit une intimité inédite entre elles), la mère révèle une personnalité duelle, partagée entre les intérêts de son ménage et l’amour sincère qu’elle éprouve pour son enfant. Dans cette culture machiste où un garçon vaut toujours mieux qu’une fille, il est intéressant que le réalisateur polarise finalement son attention sur cette relation filiale exclusivement féminine à laquelle les hommes ne semblent manifestement pas comprendre grand chose. L’irruption intempestive des personnages dans le milieu citadin ne fait que renforcer ce sentiment : si le scénario ménage son lot de rebondissements qui éclaireront les novices sur les trafics en tout genre qui sévissent au Guatemala au détriment des plus démunis, il valide par ce biais la nécessité de cette entraide qui passe par une prise de conscience de sa propre vulnérabilité. Si Ixcanul n’est pas un grand film, son honnêteté dépourvue d’angélisme et sa générosité jamais affectée restent ses plus beaux atouts.

 

Critikat par  Clément Graminiès

Entretien

Récompensé de l’Ours d’argent au dernier Festival de Berlin, «Ixcanul» de Jayro Bustamante est la nouvelle merveille du cinéma latino américaine, un premier film à la fois sensuel et poignant sur une jeune femme guatémaltèque qui tombe enceinte alors que l'exploitation familiale est infestée de serpents. Nous avons interviewé son jeune réalisateur.

 

Paris Match: «Ixcanul» est votre premier film. Quel a été votre parcours.

Jayro Bustamante: Comme il n’y a pas d’école de cinéma au Guatemala, j’ai commencé par la publicité. J’ai travaillé comme réalisateur dans une agence, en même temps que l’université. Je suis ensuite venu en France pour suivre des études de cinéma, j’ai réalisé des courts métrages avant de passer naturellement au long. La sélection de mon film en compétition au Festival de Berlin («Ixcanul» a reçu le prix Alfred Bauer, Ndlr), l'un des trois plus importants au monde, a tout changé. On avait projeté le film non fini au Festival de Saint-Sébastien, en septembre, et il a fallu travailler pour être prêt en février. Nous sommes ensuite partis à Berlin avec mon équipe du Guatemala, avec mes comédiennes. Mais nous avons eu tellement de travail que nous avons gardé les pieds sur terre.

 

Quel est le point de départ du film ?

Le film est inspiré de l’histoire de la vraie Marie. Quand je l’ai rencontrée, j’ai ressenti une responsabilité de raconter ce qui lui était arrivé. C’est la fin de l’histoire, qui, en quelque sorte, a été le commencement de mon travail.

 

Visuellement le film est très impressionnant. Comment avez-vous travaillé sur place ?

Nous avions surtout en tête le devoir de respecter la magie cinématographique. Nous savions dès le début que le film serait une dénonciation de ce qui se pratique au Guatemala, mais nous ne voulions pas qu’il ait la forme d’un pamphlet. Il fallait respecter la réalité des faits. Nous savions surtout ce que nous ne voulions pas. Sur chaque lieu sur lequel nous avons tourné, on a cherché la carte postale pour ne pas prendre cette direction. Nous avons aussi fait un casting sauvage. Maria Telon, qui interprète le rôle de la mère, vient du théâtre de rue. C’est elle qui m’a amené dans son village. Nous avons ensuite fait un casting lors d'un marché et c’est là que j’ai rencontré tous les comédiens. Ce qui m’a plu tout de suite chez Maria, qui joue l’héroïne, c’est la force de son regard. Nous avons travaillé tous ensemble pendant trois mois, principalement sur la relation de confiance nécessaire entre les acteurs.

 

«Ixcanul» s’inscrit presque dans le genre fantastique.

Au Guatemala, on ne peut pas échapper au genre du réalisme magique. On vit avec cela. Dès que l’on touche à cela, il faut que les faits soient réels. Cette fantaisie représente une autre vision de la réalité. Pour ce film en particulier, j'ai étudié le cinéma de Terrence Malick, et particulièrement «Le Nouveau Monde», pour sa façon de travailler avec la lumière naturelle. C'était un honneur d'être en compétition face à lui. L'autre grand maître dont j'admire le travail et avec qui je trouve des liens sur chaque projet que j'entreprends, c'est Michael Haneke. Pour moi, c'est le maître vivant du cinéma contemporain.

 

Avez-vous un nouveau projet?

Nous ne pensions pas qu'«Ixcanul» prendrait une telle ampleur. Je travaille sur un autre projet «Temblores» (tremblement de terre), bien sûr au Guatemala. J'essaierai de parler du côté urbain du pays.

 

Vous avez vécu à Paris. En tant que cinéaste et artiste, ressentez-vous une responsabilité de créer après les attentats du 13 novembre dernier?

Oui. J'ai des liens très proches avec Paris. Une famille m'a adopté et je l'ai adoptée aussi. Je suis très inquiet par tout ce qui se passe, très touché par cette réalité absurde que nous vivons.

Un retour en Terre natale pour un premier long-métrage

D'origine guatémaltèque, Jayro Bustamante étudia le cinéma en France, à l'université puis dans une école privée. Désireux de revenir en son pays de naissance, le réalisateur opta d'abord pour le court-métrage avant de réunir une équipe de fidèles pour son premier long-métrage, Ixcanul.

Inspiré d'un témoignage vrai

Jayro Bustamante est né au Guatémala de parents médecins. A son retour en terre natale, après ses études françaises en cinéma, la mère du cinéaste lui fit rencontrer une patiente, Maria, emprisonnée parce qu'elle aurait revendu son enfant. En fait, celle-ci avait avorté. Elle confessa à Bustamante qu'une telle opération est en fait monnaie courante dans la région. Après un moment, le metteur en scène travailla le scénario sous l'angle de la relation entre une femme et son père, avant de resserrer le point de vue sur sa protagoniste principale au prénom sans ombrages, Maria, qui est aussi celui de l'actrice principale, Maria Mercedes Croy.

Faire fi de l'absence financière

Selon Jayro Bustamante, le Guatemala ne possède pas d'économie cinématographique à même de financer des longs-métrages, ne faisant exister le cinéma qu'au travers d'une école jeune d'une dizaine d'années. C'est donc grâce à un emprunt bancaire que le cinéaste put terminer une première version montée mais incomplète. Le film fut définitivement achevé une fois que de nouveaux financements, français d'abord puis internationaux, arrivèrent.

Trouver les perles dans la rue

Pour trouver ses interprètes, Jayro Bustamante assista à de nombreux spectacles de rue et trouva ainsi Maria Télon et Marvin Coroy, respectivement Juana et El Pépé. Puis, le cinéaste construisit un stand sur le marché de la ville en posant l'écriteau "Casting" et attendit. Personne ne venant, le panneau changea dès le lendemain pour le terme "Offre d'emploi", résultant en une longue file d'attente ! C'est ainsi que l'actrice principale, Maria Mercedes Croy, fut choisie. D'abord réticente face à l'ampleur du rôle, le cinéaste réussit à la convaincre, tout comme Manuel Antun, initialement prêtre maya respecté au sein de sa communauté.

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