Félicité

de Alain Gomis

Synopsis

Félicité, libre et fière, est chanteuse le soir dans un bar de Kinshasa. Sa vie bascule quand son fils de 14 ans est victime d'un accident de moto. Pour le sauver, elle se lance dans une course effrénée à travers les rues d'une Kinshasa électrique, un monde de musique et de rêves. Ses chemins croisent ceux de Tabu.

Dossier de presse

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Critique

 

Dans la fureur de Kinshasa, capitale aux douze millions d'habitants de la République démocratique du Congo, le réalisateur Alain Gomis fait surgir une héroïne qui a, comme lui, le goût du défi. Solitaire et fière, Félicité brave les regards et entre en scène. Dans le bar où elle est chanteuse, la vie tangue entre alcool, embrouilles et désirs. Soudain, sa voix s'élève, galvanise les énergies et fait naître une harmonie. La nuit incertaine bascule du côté de la beauté. Cette séquence d'ouverture, qui dure plus de sept minutes, est un tour de force de cinéma. De la force, il en faut, à Kinshasa : le lendemain, Félicité est à l'hôpital devant le corps ensanglanté de son fils qui a eu un accident de moto.

Cette fiction s'élance dans l'urgence, jusqu'à donner un sentiment de réalisme documentaire. Mais une tonalité différente y résonne bientôt : dans une nuit qui est sans doute celle de ses rêves, Félicité marche vers une autre dimension de la vie, mystérieuse et apaisante. Comme s'il voulait vivifier le cinéma africain, rare et généralement fragile, le Franco-Sénégalais Alain Gomis déploie tous les possibles. Il filme le combat pour la survie et l'élévation spirituelle, le trivial et le sacré, il fait vibrer la musique du groupe Kasaï Allstars, qui mélange tradition et électro, et celle d'Arvo Pärt, jouée par l'Orchestre symphonique de Kinshasa. L'ambition est de remuer ciel et terre. Félicité se jette dans la bataille pour sauver son fils menacé d'amputation, elle prend des coups pour trouver de l'argent et repart à l'attaque. Et puis, elle s'effondre. Elle qui faisait face, s'efface...

Le film trouve alors une autre manière encore de nous faire ressentir le quotidien de Kinshasa. L'énergie laisse place à l'épuisement et l'égarement dans cette ville de violences, où l'argent, qui n'est nulle part, est réclamé tout le temps et ne sauve rien. Le gouffre de l'absurde s'ouvre, mais Félicité en ressort moins affaiblie qu'adoucie. En baissant la garde, la guerrière apprend le pouvoir de l'abandon, qui lui permet d'accepter sa fragilité et d'être, simplement, humaine.

La joie renaît toujours. Ce message d'espoir, Alain Gomis est allé le chercher au coeur d'un chaos dont il recompose l'étrangeté avec une audace incroyable. Il est prêt à perdre en route son héroïne et, tout aussi bien, à déboussoler le spectateur. Ce film parfois énigmatique, où le chant et la musique comptent autant que les dialogues, invente son langage de cinéma. Il cultive la fluidité et laisse filer ses personnages, pour mieux fusionner avec eux. Le courage du fils accidenté, mutique, apparaît comme une sorte de lumière. De même, l'amour du séducteur de bar qui emballe toutes les femmes mais ne veut faire le bonheur que de Félicité. De ces vies ordinaires, un sentiment de grandeur s'élève : par-delà la matérialité, la pauvreté, la beauté de l'âme rayonne. Par-delà les épreuves résiste une flamme secrète. Interprétée par l'étonnante Véro Tshanda Beya, Félicité devient un personnage transcendant, d'une intériorité et d'une richesse magnifiques.

 

Télérama- Frédéric Strauss

 

 

Interview du réalisateur :

Alain Gomis nous raconte "Félicité", notre coup de coeur cinéma

 

 

Nous avons rencontré le réalisateur Alain Gomis, qui signe avec «Félicité», son dernier long métrage, Grand prix du Festival de Berlin, un magnifique portrait de femme.

 

Paris Match. L’affiche du film résume parfaitement son projet esthétique et son originalité.

Alain Gomis. C’est un artiste kenyan qui l’a réalisé, Evans Mbugua. Son nom est écrit tout petit, hélas... Cela n’a pas été facile de l'imposer au distributeur (rires). Nous voulions faire quelque chose de différent, mais c’est un peu le rôle d'une affiche non ? 

 

Quel a été le point de départ du film ?

Un ensemble de choses : la ville africaine aujourd’hui, son bouillonnement, les femmes qui tiennent les murs de la société. En gros, vouloir parler des quartiers populaires et des gens qui y vivent. Ce qui me touchait, aussi, c’est de parler de la déconsidération de soi que ressente la majorité des gens sur cette planète, ce sentiment que la vie qu’il faut mener c’est celle de l’autre, celle que l’on voit à travers les écrans, les magazines. Comme s’ils étaient en attente de la vraie vie, que la vie qu’ils menaient n’était pas la bonne. Tabu est là pour dire que la vie, elle est là, c’est la vraie, elle vaut en soi: elle est difficile mais elle est digne, elle est belle. C’est une sorte d’hommage à la vie là telle que je la vois, dans son authenticité, dans sa vérité, face à ce truc mensonger qui nous enveloppe tous.

 

Dans "Félicité", le monde est représenté par une chanteuse et un mécano de Kinshasa.Tabu est justement le personnage qui bouscule les tables et les choses établies. C’est un peu votre double à l’écran ?

Je m’investis dans tous les personnages, en elle, en lui et en l’enfant. Mais c’est vrai qu’il y a un moment, quand il parle à l’enfant, où j’ai eu l’impression de m’exprimer directement à mon fils. J’ai écrit les dialogues juste avant la scène : «nous sommes beaux, nous sommes la vérité, tu seras courageux car tu n’as pas le choix, je serai ton soldat».

 

Le café est un peu le centre du monde, ou plutôt, un concentré du monde, où les classes sociales s’opposent.

Je trouve que c’est ça qui est beau dans ce lieu. Cela aurait pu se passer dans un café quelque part en Ukraine. Dans les maquis, dans les cafés,  toute la société se regroupe avec ses lignes de fracture, ses passerelles aussi. Ce que j’aime dans le conte, dans le mythe, c’est justement comment des personnages représentent le monde entier. Ici, il est représenté par une chanteuse et un mécano, à Kinshasa. Et pas par un trader de Wall Street... 

 

 

Comment avez-vous choisi votre héroïne ?

J’ai écrit le scénario avec en tête des vidéos du groupe Kasai Allstars, avec la chanteuse Muambuyi. Félicité était un personnage d’une quarantaine d’années avec un enfant adolescent. Mais la chanteuse était trop âgée pour interpréter le rôle. J’ai donc choisi une actrice pour sa qualité de jeu et non pour le chant. J’ai pris les problèmes un par un. Une fois que j’ai été convaincu par Véro, nous avons abordé la question des chansons. Elle parlait la langue des chansons, elle connaissait cette musique. Elle a travaillé énormément pour être crédible, même sur du playback. C’est impossible à chanter ce truc (rires). C’est à moitié scandé, ça part en l’air, ce n’est jamais sur le temps. Mais quand elle chantait, elle interprétait quelque chose. Elle a compris ce que c’était de mettre sa voix sur la table. 

 

Une volonté d'exploser le récit

Le film a une structure particulière, avec une vraie césure après un premier tiers «réaliste». C’était écrit comme tel au scénario ou vous avez adopté cette structure au montage ?

J’avais cette volonté d’exploser le récit. Je ne voulais pas rester dans une structure dramatique traditionnelle qui enferme les films avec une mécanique dramatique de résolution. Je voulais mener cette bataille, avoir une vraie rupture, profiter de la rampe de lancement de la construction dramatique pour entrer dans quelque chose qui est de l’ordre de la résonance, de la sensation, de la musique. C’est avec ça que je voulais jouer. 

 

D’où le choix de cette interprétation étonnante de «My Heart’s in the Highlands » d’Arvo Pärt ?

C’est un poème sur l’exil, sur les paysages de son enfance que l’on doit quitter. Et c’est ce qu’éprouve le personnage à ce moment-là. Cela peut paraître hétérogène et lointain mais j’espère qu’en voyant le film on s’aperçoit que tout cela dialogue ensemble. Que l’on soit à Kinshasa ou en Ecosse, les histoires humaines sont les mêmes. On doit tous composer avec la mort et les choses dures de la vie. 

 

Les scènes nocturnes sont sublimes. Comment les avez-vous élaborées sur le plan pictural ?

Nous avons beaucoup tâtonné pour trouver la forme cinématographique idéale à ces séquences. On a décidé de se mettre dans les conditions physiques de la nuit. Les scènes sont filmées avec un appareil photo, l’Alpha 7, avec une ultra sensibilité. Nous ne voulions ni d’une Nuit américaine, ni d’énormes éclairages. Alors nous tournions à la tombée de la nuit avec deux pauvres petits spots. C’était très rocailleux. On était comme elle, on ne savait pas si on allait prendre une branche d’arbre dans la figure (rires). Du coup, il fallait se lâcher, vivre les moments.

 

Vous montrez dans le film que la solidarité n’est pas si évidente…

Surtout dans les moments de pression économique que nous vivons. La première prise que nous avons faite en improvisant la scène du groupe de musique qui prête de l’argent à «Félicité», cela faisait trop «cinéma». Tous les musiciens donnaient de l’argent. On s’est dit : bon, ce n’est pas comme ça que cela se passerait vraiment. C’est devenu plus tendu, avec la question que pose l’un d’entre eux et qui me semble fondamentale : «il faut faire attention à ce que l’on demande ». C’est la question de la solidarité mais aussi de ce que l’on épargne de nos malheurs à l’autre.

 

Félicité n’est pas immédiatement sympathique, ce qui va à l’encontre des clichés des films sociaux.

C’est mon quatrième film, je fais un peu plus confiance au temps. Félicité doit s’apprendre à s’aimer elle-même. Elle n’est pas forcément sympathique, mais elle a une force en elle, une énergie qui est incroyable. C’est un personnage complexe, intrigant, mais elle porte aussi un regard dur sur elle-même. Mais quand elle sourit, la lumière sort de partout et te fait un bien fou. Je voulais donner ce temps de construction, travailler sur la longueur.

 

Vous avez vécu des problèmes de réfrigérateur sur le tournage ?

Oui c’est du vécu, du vécu pur (rires). J’étais au Sénégal. Je fais venir un réparateur, il vient une fois, deux fois, trois fois. Cet homme-là devient mon ami car il vient chez moi tous les jours. Cela fait partie de ce que je voulais dire dans le film : que le trajet est un moment de vie en soi, ce n’est pas le but qui compte mais la route que l’on prend pour l’atteindre.

 

Rendre du temps au regard .Vous ressentez justement cette impatience nouvelle, à tout avoir, tout de suite ?

Oui à Kinshasa comme à Paris.  Les sociétés ne sont pas si différentes dans leur mode de fonctionnement. C’est un fonctionnement d’efficacité, de rentabilité. Il ne faut plus de temps mort. Cela vaut aussi pour la dramaturgie cinématographique. Or, c’est dans ces temps morts, dans ces silences-là que se déroulent vraiment les choses. Quand on les enlève tous, nous sommes gagnés par cette frénésie qui fait que l’on ne sait plus ce que l’on vit, cette dépossession de soi. Ce que j’aime dans le cinéma, le théâtre, la musique, c’est l’infinité du présent, le récit de «Félicité » s’étire un peu pour rendre du temps au regard.

 

Il y a des réalisateurs dont vous suivez le travail ?

Le documentariste chinois Wang Bing («Ta’ang»), qui dresse des portraits magnifiques. Il a une vraie science de «l’inefficacité» qui permet au film de travailler sur la durée, le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul (« Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures») et l’Iranien Asghar Farhadi («Le Client») dans un registre totalement différent.

 

Que représentent pour vous les prix obtenus par «Félicité», notamment le Grand prix à Berlin ?

Cela me donne la possibilité de remercier tous les gens qui ont travaillé sur le film dans des conditions économiques difficiles. Je suis heureux de les avoir contents et fiers. Cela donne aussi une lumière indispensable au film, pour lui permettre d’être exposé. Je me dis aussi que j’aurais peut-être la possibilité d’en faire un autre. 

 

Le film a-t-il été montré à Kinshasa ?

Pas encore, ce sera au mois de juin. Ce sera beaucoup de tension mais aussi un vrai plaisir. C’est souvent avec un public qui n’a pas l’habitude de ce genre de cinéma que se font les plus belles rencontres. Je me souviens d’une tournée aux Etats-Unis dans des centres sociaux sur mon film précédent, avec des discussions de trois heures… Il ne faut pas que l’on arrive à ce truc insupportable de simplifier ce que l’on a dire pour un public populaire. 

Rencontre avec le réalisateur :

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Cinéma Le Vagabond

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