Dheepan

de Jacques Audiard

Synopsis

Fuyant la guerre civile au Sri Lanka, un ancien soldat, une jeune femme et une petite fille se font passer pour une famille. Réfugiés en France dans une cité sensible, se connaissant à peine, ils tentent de se construire un foyer.

Critiques

“Dheepan”, de Jacques Audiard : un tour de force tout en douceur


Il joue gros à Cannes, Jacques Audiard. Une double mission lui échoit en effet cette année : faire oublier son absence de 2012 – en compétition, De rouille et d’os avait été snobé par le jury de Nanni Moretti) et faire mieux que son coup d’éclat de 2009 (le Grand Prix pour Un Prophète). En somme, il faut que 2015 soit l’année de sa Palme d’or. Après avoir vu Dheepan, on peut dire que ça se présente très bien.

Car il joue finement, Audiard. Les enjeux cannois, la pression qu’ils peuvent exercer, il les ignore radicalement avec ce nouveau film. Qui ose une sobriété et même une modestie inattendue. Des défis à relever, il y en a pourtant, bien sûr : le goût de la difficulté est une drogue pour celui qui a accordé Bach et les crimes crapuleux dans De Battre mon cœur s’est arrêté – au programme du bac cette année, chouette ! Cette fois, il filme un Tigre, soldat de l’indépendance tamoule au Sri Lanka, nommé Dheepan. Dans la scène d’ouverture du film, on le voit allumer le bûcher où sont allongés les cadavres de ses frères de combat. La guerre est perdue, finie pour lui. Avec une femme qu’il ne connaît pas et une gamine de neuf ans, orpheline, Dheepan peut récupérer les passeports d’une famille disparue et quitter le pays. Il se retrouve en France et finit par emménager, avec sa fausse femme et leur fausse fille, dans une cité de la banlieue parisienne où il obtient un poste de gardien. Et là, la guerre qui le hante, qui est restée en lui, il va la retrouver sous ces fenêtres.

Ce retour de la violence dans la vie d’un homme qui l’a fuie, c’est un des rares éléments de scénario qu’on avait eus sur ce film très secret. Et c’est presque une fausse piste. Car on ne passe pas directement d’une guerre lointaine à une guerre des dealers bien de chez nous. Dheepan cherche d’abord la paix. Un toit, une vie normale. Ce désir de banalité, en quelque sorte, c’est le plus grand défi pour Audiard, dont les personnages suivent toujours des chemins à part. Le gardien de cité sri-lankais l’est assurément, à part. Mais ce que le film raconte dans une grande première partie, c’est bien son envie de se fondre dans cet environnement ordinaire de HLM délabrées. Et pour montrer ce projet tout simple, Audiard abandonne tous les effets de caméra, de mouvement, de lumière. Nous voilà dans la chronique dépouillée, sans esbroufe, d’une vie qui recommence et où plus rien n’arrive, heureusement. Alors, le désir renaît : le soldat battu regarde soudain comme une femme celle qui l’a suivi pour sauver sa peau. Il se met à rêver que cette fausse épouse soit vraiment la sienne, sa fausse fille aussi. Et pour sa famille, Dheephan pourrait tuer, encore.

La violence qui surgira n’est pas celle d’un polar ou d’un film social, pas celle des gangs. C’est la violence intime d’un homme fait de douceur et de rage. Ce mélange typique du cinéma d’Audiard (le délicat toucher du piano pour jouer Bach et les poings serrés pour donner des coups, c’était pareil) prend ici une forme nouvelle. La sensibilité de Dheepan imprègne le film, qui n’est pas parlé en tamoul la moitié du temps juste par souci de réalisme. On sent un pacte fort entre Audiard et son comédien principal, l’étonnant Jesuthasan Antonythasan. Ensemble, ils ne font pas un film sur le parcours d’un réfugié sri-lankais : ils sont avec Dheepan, homme secret qui ment pour s’en sortir et parle peu, surtout pas de ses blessures, et ne se bat que pour ne plus avoir à se battre. Cette communion change, concrètement, la façon de filmer la violence : Audiard en intériorise les effets, la rend plus abstraite, plus mentale. Cinéaste plein de tempérament mais cinéaste caméléon aussi, il sait, comme personne, marcher dans les pas de ses personnages. En suivant ceux de Dheepan, il nous raconte une histoire intrigante, atypique qui prend doucement de l’ampleur et finit par être tout bonnement émouvante. Maîtrisé en douceur, ce programme fait un film fort et généreux. Victorieux.

 Frédéric Strauss - Télérama - Publié le 21/05/2015

http://www.telerama.fr/festival-de-cannes/2015/dheephan-de-jacques-audiard-un-tour-de-force-tout-en-douceur,127009.php



Dheepan : la Palme d'or est un grand film de guerre imprévisible


Vainqueur de la Palme d'or 2015, le nouveau Jacques Audiard tape fort sur la Croisette.

Après que son unité a été décimée, un combattant des Tigres Tamouls (Antonythasan Jesuthasan, fabuleuse découverte) quitte le Sri Lanka pour la France. Il forme une fausse famille avec une jeune femme et une fillette, endossant l’identité de Dheepan. Il trouve un boulot de gardien dans une cité HLM et va se frotter à la bande de dealers qui contrôle la zone. Voilà. On n’attend pas un nouveau Jacques Audiard comme n’importe quel film, surtout en compétition à Cannes. Trois ans qu’on attendait ça depuis la Palme manquée de De rouille et d’os (Haneke l’ayant doublé avec Amour). Et de nouveau, tout est à sa place : Audiard shoote magnifiquement des corps humains marqués/blessés, et leur agitation dans un espace réduit d’où ils cherchent à s’échapper. Ca, c’est la théorie, l’analyse globale.Même s’il se laisse aller à quelques facilités surprenantes (quand Dheepan picole au fond d’une cave il est violemment éclairé en rouge, been there, done that), la maîtrise formelle d’Audiard n’est plus à démontrer ; les quinze première minutes, avec le bûcher funéraire et l’apparition du titre, sont de vraies baffes. Aucun autre cinéaste français ne sait mêler le réalisme pur et les visions oniriques (chez les autres l’apparition du dieu à tête d'éléphant Ganesh aurait filé direct chez Nanarland). Il nous plonge dans la vraie vie, dans la guerre, le no man’s land, la zone de conflit dans un espace abandonné où la force fait le droit. Cinéma guérilla, comme celle perdue par les Tigres Tamouls : cinématographiquement Dheepan est fait de coups de main imprévisibles, de frappes irrégulières, de travers, de scènes brutales jetées puis abandonnées, parfois avec justesse parfois moins (pourquoi avoir abandonné le personnage de l’ex-colonel tamoul ?) et c’est ça aussi la guerre. Non pas l'affrontement mais son incertitude.Au fond l’exploit du film est de ne pas parler d’immigration (qui pourrait amener des débats nauséabonds) mais d’intégration ou plutôt de réintégration. Dheepan raconte le combattant revenu de la guerre qui réalise (ou pas) qu’il a passé humainement un point de non-retour. C’est Les Guerriers de l'enfer, Rambo et compagnie et effectivement, Audiard, qui aime sincèrement les films de genre, se permet donc à partir de ce pitch de traiter le drame du come-back en lui greffant un compte à rebours violent vers le vigilante movie qui explose dans son ultime chapitre. Mais Dheepan raconte aussi la formation d’une famille envers et contre tout, entre le héros et sa fausse compagne, à travers des crises plus ou moins violentes, ce qui curieusement affaiblit le film. Non pas à cause de l’héroïne (Kalieaswari Srinivasan, incroyable) dont le récit de sa relation touchante avec le big boss de la téci (Vincent Rottiers) est aussi fort que celui de Dheepan, mais tout simplement parce qu’il donne au film un épilogue assez peu crédible en forme d’happy end ensoleillé, qui affaiblit forcément l’impact du film. Mais on sent qu’il y a beaucoup à en dire et que Dheepan dépasse de très loin son statut de simple objet cannois en compétition dans laquelle il a de très grosses chances de briller.


Sylvestre Picard - Première - Publié le 24/05/2015

http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Dheepan-un-grand-film-de-guerre-imprevisible-4182669

Palme à Audiard, «Dheepan» à jouir


En récompensant Audiard, Lindon et Bercot, le jury a fait dans le social et le franco-français. Hou Hsiao-hsien doit se contenter d’un gros accessit.


«Les frères Coen nous ont dit que le plus important était de rester positif», avait lâché, à quelques heures du palmarès, l’acteur américain Jake Gyllenhaal. Quoi que l’on entende dans cet augure de ses délibérations, de l’exil suscité par la guerre civile (Dheepan de Jacques Audiard) aux camps d’extermination nazis (le Fils de Saul de Laszlo Nemes), de Pôle Emploi (la Loi du marché de Stéphane Brizé) à la grosse crise de nerfs domestique (Mon Roi de Maïwenn), le jury présidé par les frères Coen a affirmé sa positive attitude en fouillant dans tous les recoins les plus saumâtres de la compétition pour y disperser l’essentiel des distinctions de choix. A cet égard, la palme d’or qui atterrit dans le chapeau tendu par Jacques Audiard, déjà récompensé du prix du meilleur scénario pour Un héros très discret en 1996 et du grand prix en 2009 pour Un prophète, couronne un thriller social, à coloration exotique de par son personnage d’ex-guérillero indépendantiste tamoul, ayant fui le Sri Lanka, pour une banlieue craignos. Un décor de désolation et de violences urbaines, traversé par une idéologie du nettoyage au Kärcher et d’un héroïsme viriliste, dont il est permis de trouver la vision aussi fantasmée et poussiéreuse que le clin d’œil du cinéaste à «Antenne 2» (sic) lors de son discours de remerciements.


EFFET DE RÉEL 

On a entendu ici et là la rumeur d’un brief préalable des jurés par les deux patrons du Festival, Thierry Frémaux et Pierre Lescure, leur suggérant que la palme d’or se doit d’être dévolue à un film fédérateur, à vocation d’ambassadeur universel, susceptible de représenter l’idéal de cinéma de Cannes à travers le monde. On pourrait à l’aune de quelques caractéristiques saillantes du film d’Audiard (violence graphique, absence de casting voyant, dialogues essentiellement en langue tamoule) croire que les jurés n’en ont fait qu’à leur tête et que les vœux pieux des instances dirigeantes et artistiques du Festival n’auront pas trouvé d’écho sensible dans la désignation de leur champion. Pour autant, gageons que Thierry Frémaux sort enchanté et renforcé par un palmarès qui valide à bien des égards à la fois l’entreprise de renouvellement des effectifs de la compétition et le volume considérable du cheptel français (pas moins de 5 films sur 19 concourant pour la palme). Les deux prix d’interprétation nourrissent également ce sentiment, par leur attribution à deux acteurs français. Vincent Lindon, dans son rôle de galérien de Pôle Emploi chez Stéphane Brizé, emporte à lui seul les lauriers (prix d’interprétation masculine) de l’effet de réel secrété par un film où il est entouré de non-professionnels anonymes – en somme, c’est vraiment la Loi du marché. Quant au trophée dévolu aux actrices, il consacre par la bizarrerie d’un ex aequo à l’étrange attelage les ruades vociférantes et hyperventilées d’Emmanuelle Bercot (dans Mon Roi de Maïwenn) et l’exquise fragilité virginale de l’Américaine Rooney Mara, que l’on attendait plutôt associée à sa partenaire de romance lesbienne fifties dans Carol, de Todd Haynes : Cate Blanchett.


Didier Peron, Clément Ghys, Julien Gester et Clémentine Gallot - Libération - 24/05/2015

http://next.liberation.fr/cinema/2015/05/24/palme-a-audiard-dheepan-a-jouir_1315999


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