Black stone

de Gyeong-Tae Roh

Synopsis

Pendant que ses parents adoptifs se tuent à la tâche dans une usine agro-alimentaire de Séoul, Shon Sun est contraint d'effectuer son service militaire. Mais, victime de mauvais traitements, il est obligé de fuir l'armée. De retour à Séoul, il s'aperçoit que ses parents ont disparu. Bien décidé à les retrouver, il entame alors tout un périple à travers la jungle polluée, d'où est originaire son père...

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Critiques

«BLACK STONE», DÉGOÛT SUBLIMÉ

 

Pourquoi des films en temps de détresse ? Black Stone, c’est l’horreur. «L’horreur», c’est bien devenu quelque chose comme une catégorie de l’expérience humaine, et plutôt qu’une émotion, une injonction à l’énigme et à la stupeur. Le film d’horreur comme genre aura été longtemps la reprise distanciée, ou repolitisée, de cette stupeur-là : un jeu avec le mal ou l’inhumain dans l’humain. Il ne l’est plus tant que ça. C’est que l’horreur, en emportant la bataille des diagnostics du présent, a gagné sur les autres genres. A l’horreur comme plus haut mal répond l’archaïque, ou le «primitif» en art, comme antidote. Au présent désastreux, on oppose l’inquiétude absolue mais stable des forces anciennes. Duras, Lynch, Weerasethakul, toute une série hétérogène et puissante des cinéastes de la survivance. Et aussi toute la série de leur refabrication par d’autres sous forme de cliché - le kitsch primitiviste comme ressassement de l’impensable dans l’histoire récente.

 

Antidote

Black Stone, film coréen de Gyeong-tae Roh, vient se poser sur ce terrain-là et parvient à ne pas rester d’un seul bloc, à penser cette situation (des films pour une époque horrifique ?), à la prendre en charge. C’est un film qui veut plusieurs choses : l’ignoble et la beauté, la pointe de l’époque et les grottes de l’arrière-monde, la violence organique et la tranquillité des pierres. Et toute son opération fragile, efficace, tient dans sa décision de se concentrer d’abord sur un seul affect et un seul spasme involontaire : le dégoût et la révulsion. Il substitue à l’horreur le dégueulasse (comme dernier mot de l’inhumain) et, à son antidote, quelque chose comme la satisfaction provisoire d’avoir vomi (une échappatoire pour l’humain).

 

Il nous place au milieu d’une catastrophe écologique, sociale, morale où contamination et capitalisme ne font qu’une seule image. Un jeune homme, Shon-Sun, né d’une mère chinoise et d’un père d’Asie du Sud-Est, ouvriers immigrés en Corée du Sud, subit les sévices du service militaire. Quand la mère meurt d’une maladie liée aux poulets contaminés qu’elle prépare le jour à l’usine et qu’elle mange le soir, le père disparaît. Son fils ira le chercher jusqu’à sa terre natale ravagée par une marée noire. Tout ce que le film veut figurer du contemporain et de ses désastres est pris dans cette allégorie volontariste et poisseuse, à la limite du mauvais goût (quand par exemple le sida devient une des modalités concrètes de la contamination morale générale : ce genre de rhétorique de la peste toujours problématique) ou franchement de mauvais goût (tout le reste, et c’est ce qui fait sa force quand il reste dans le domaine du film d’horreur).

 

Des plans splendides sur l’immondice généralisée parviennent à ne pas être ridicules tant qu’ils font primer l’effet de choc sur la volonté d’art. Aux meilleurs moments, ce n’est rien qu’un petit jeu avec le grand dégoût : ça marche, et c’est tout ce que ça veut, avec la distance brutale des bonnes séries Z. Et puis, donc, l’antidote : rituels et esprits, rêves, visions, forces. Les morts se relèvent et la nature blessée pousse encore son chant rebelle par des voix millénaires. C’est la rhétorique magico-politique du film d’auteur dans la jungle. Et ça marche aussi. Quelque chose vient ruiner le ronron apocalyptique en ne se prenant pas au sérieux tout en hurlant de détresse, toujours sur la limite. Ce quelque chose est encore le dégoût, un pas en arrière et non une fascination. L’horrible ne peut exister que comme mise en scène d’une forte envie de dégueuler. Une fois celle-ci assouvie, c’est l’indifférence cosmique qui envahit tout, proposée comme seule position tenable.

 

Stop-motion

Il y a alors dans Black Stone cette séquence, très belle, où les pierres s’animent toutes seules, roulant et frémissant sur la plage pourrie. Vie inorganique et inexpressive, survivance minérale, etc. Ce cliché en stop-motion, refrain du type «le cinéma et le monde d’après le vivant», emporte le morceau, il émeut. C’est la grandeur modeste de Black Stone de se jouer de tout ce par quoi un film peut figurer la grande catastrophe, sans chuter ni dans la naïveté alarmiste ni dans la dérision de ses propres moyens. Son dégoût nous dit que ça va vraiment aussi mal qu’on le croit : que nous vivons tous, dans le réel, un pur cliché de la fin du monde. Il atteint au réalisme pervers des petits films d’horreur, leur goût d’une beauté nauséeuse qui ne sauve rien ni personne.

 

Libération par Luc Chessel

Black Stone est un film étrange et en partie abscons, mélange pas toujours maîtrisé de genres et de registres et, ce qui en fait sa qualité principale, suffisamment surprenant pour intéresser dans sa totalité. Nettement scindé en deux parties, il présente un itinéraire initiatique, qui part de l’ombre pour aller vers la lumière, du réel vers le surnaturel, en un chemin austère : plans longs et silencieux, ellipses, quasi-absence de musique extra-diégétique… On est bien dans une œuvre « auteuriste » qui refuse les facilités. De même le jeu des acteurs est-il singulièrement intérieur, à la limite de l’ascétisme : c’est que le cinéaste refuse la psychologie et l’explication, tout à sa vision entomologiste et précise. Le comportement est privilégié par rapport au dialogue et il revient au spectateur de faire des liens, de combler des trous.

La première partie, la plus réaliste, est fondée sur un montage alterné entre les parents adoptifs qui s’échinent en un travail aliénant et Shon, le fils, humilié en permanence à l’armée. D’autant qu’il est métis, on ne cesse de le lui rappeler, ce qui lance sans la développer la piste du racisme (et, incidemment, de l’homophobie). Gyeong-tae Roh fait preuve d’une concision remarquable : une séquence, celle du gaz, suffit à créer le sentiment de mépris ; de même pour évoquer le malaise profond des parents choisit-il un biais intéressant, celui du dégoût face à la nourriture (un gros plan d’une bouche mâchant fait signe). Les personnages sont déconstruits, privés d’une vie réelle, objet de vexations continues : les brimades des chefs , à l’armée ou à l’usine, ruinent ce qui fait d’eux des humains, c’est à dire les sentiments, ce que le cinéaste rend visuellement par des morcellements (plans de mains, de chevilles …) un peu à la manière d’un Bresson. Dans ce monde froid à la lumière bleutée, la communication est inexistante : les repas sont silencieux, les différentes questions ne suscitent pas de réponses. On le voit, ce point de vue est désespérant autant que désespéré, et culmine dans l’éprouvante scène de viol. Sans doute le risque d’excès de noirceur n’est-il pas tout à fait évité : l’accumulation alourdit le propos et contamine les séquences « creuses » de marche ou d’isolement.

 

La seconde partie s’ouvre par du soleil et la mer. On croit à une respiration mais, très vite, la noirceur reprend le dessus : la mer est polluée par une marée noire et les paysages ressemblent à des poubelles en plein air ; qui plus est, les retrouvailles père-fils sont froides et pour l’essentiel elliptiques. Mais le ton change néanmoins : d’abord les images de nature (arbres, animaux) humanisent enfin ce monde perdu. Mais surtout, Shon découvre les bienfaits des petites choses, dérisoires et fondamentales à la fois, que symbolise l’acte de nettoyer des pierres tachées de pétrole. C’est une forme de renaissance, idée reprise par les deux morts, celles de la grand-mère puis, métaphoriquement, du héros. On reconnaît les phases de l’initiation qui nécessite de mourir pour renaître ; la fumée qui s’élève par deux fois ressuscite en deux séquences oniriques et, il faut bien le dire, assez déconcertantes : les pierres qui volent, outre la maladresse des effets spéciaux (maladresse peut-être voulue, ça ne change rien), ressortissent d’une naïveté étonnante par rapport au début. Sans doute y-a-t-il accord avec le sens général que prend le film, et c’est là que le bât blesse : après donc une heure de noirceur totale, Shon vit une sorte de rédemption, trouve un accord avec la nature et les rites anciens auxquels se mêlent magie et panthéisme. Certes, rien de guilleret : on est toujours dans une rigueur ascétique, mais le contraste avec le quasi-nihilisme initial invite à une lecture simpliste et binaire que l’on attendait pas.

 

Dépassant l’itinéraire spirituel et matériel du personnage, on peut voir Black Stone comme un film post-apocalyptique : le film commence après la fin du monde, avec la perte d’humanité, le profit érigé en seule valeur, mais aussi la pollution et l’environnement misérable (voir la maison des parents). Gyeong-tae Roh décrit un univers fantomatique où les êtres parlent peu et sont réduits à l’obéissance et aux fonctions essentielles ; de ce constat il tire une conclusion logique, condamnant une société épuisée, incapable de sentiments. Puisque le monde n’en est plus un, il faut fuir : le père, puis Shon, reviennent donc à l’origine (la mer) et entreprennent sans le savoir une initiation au monde d’avant, lavant, en même temps que les pierres, leurs fautes passées, retrouvant une sorte d’Éden loin de la civilisation. En extrapolant, on pourrait lire le film comme une parabole sur notre présent et les solutions pour y échapper. Certes la solution proposée, cultiver son jardin comme le souhaitait Voltaire, peut paraître un peu courte, même mâtinée d’une spiritualité qui nous est pour partie étrangère. Reste que le cinéaste n’a pas choisi la facilité de s’enfermer dans le noir et le dramatique : il change de cap, et, tout en gardant une cohérence stylistique, prend le contre-pied du propos liminaire. En cela, il réussit un film étrange, mélange de tragique et de naïf, qui s’écarte des modes pour offrir un itinéraire intérieur constamment passionnant malgré d’indéniables maladresses scénaristiques.

 

avoir-alire.com

Black Stone étonne par son format entre film expérimental et fiction, ainsi que par la philosophie qu’il développe : étrange et spirituel, le Coréen Gyeong Tae-Roh signe un film poignant. 

 

Shon Sun est un jeune métis (comprendre, de parents chinois et coréen) contraint d’effectuer son service militaire alors que ses deux parents se tuent à la tâche dans une usine agro-alimentaire de Séoul. Après avoir été violé par son supérieur hiérarchique, il déserte et retourne à Séoul. Lorsqu’il rentre chez lui, il remarque que ses parents ont quitté le navire : Sa mère est décédée, son père a disparu. Il décide alors de traverser les touffes d’une jungle polluée pour rejoindre le village dont son père adoptif est originaire, et où réside sa grand mère adoptive, Pung 

 

TABLEAU D’UNE CORÉE NOYÉE SOUS LES TABOUS

 

A travers les péripéties de son seul personnage principal, Shon Sun, Gyeong Tae-Roh parvient à dresser la fresque vivante et accusatrice d’une Corée rongée par d’importants problèmes de société. Angoissante, étouffante, la réalisation fait peser sur nos consciences le poids subi par les personnages. Du racisme, à l’homophobie en passant par la gangrène du Sida, Gyeong Tae-Roh dénonce les travers de son pays avec une puissance douce, de celles qui choquent, alertent, réveillent sans imposer leur force. Mais à travers ce portrait d’une Corée déchirée, le réalisateur trace aussi la trajectoire d’un personnage qui, adopté, tente de trouver sa place dans un monde pollué par l’humain.

 

FUIR LA POLLUTION

 

Dans Black Stone, la pollution est double : elle est celle d’une civilisation viciée, d’un pays qui écrase ses travailleurs, humilie ses soldats, rejette ses petits… Elle est aussi environnementale, et les plans fascinants du réalisateur prennent leur temps pour le montrer. La plage recouverte de Mazout côtoie des palmiers magnifiques et les poissons débordent du plastique et de la radioactivité déversés sans conscience par les Hommes. Un monde de merde, aussi bien littérale que figurée, que Shon Sun aurait préféré ne pas découvrir. Une découverte qu’il reprochera amèrement à son père  (« Pourquoi m’as-tu fait sortir de ce tas d’ordures ? »), qui restera, lui aussi, sans réponse.

 

Black Stone  est un film vraiment étonnant dans sa forme, bouleversant dans sa trajectoire et poignant dans ses revendications. Le coeur serré et la conscience éveillée, on ne sort pas indemne de cette vision d’une heure et demie.

 

http://untitledmag.fr/

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